Lettre à un pêcheur français [par Jean-Paul Pelras]

Monsieur,
notre moussaillon en chef étant, de toute évidence, plus expérimenté pour pratiquer le jet ski du côté de Brégançon que pour négocier le sous-marin face aux Australiens et tenir tête aux Britishs du côté de Jersey, la France vient donc, une fois encore, de baisser pavillon. Bien entendu le premier d’entre nous s’est empressé de déclarer à l’un de vos représentants “qu’en aucun cas, il ne lâcherait l’histoire des licences attendues et qu’il ne laisserait pas tomber les pêcheurs français”. Histoire de rétropédaler un peu et afin d’éviter une énième déferlante alors que le ton monte, pour d’autres raisons, sur d’autres fronts et sur d’autres océans, Macron est revenu sur les propos de sa ministre de la Mer, Annick Girardin. Laquelle avait évoqué la mise en place d’un plan d’indemnisation pour ceux qui, brexit oblige, ne pourraient obtenir de licences leur permettant de pêcher dans les eaux anglaises. La rhétorique est, à ce titre, variable selon qu’elle est ministérielle “plan de sortie de flotte” ou professionnelle “plan massif de destruction des bateaux”. Les marins étant, bien entendu, autrement plus concernés que les ministres.

Cette histoire dont l’épilogue, malgré les promesses élyséennes, risque de ne pas évoluer en votre faveur, ressemble à celle que nous avons vécue au début des années 90 dans le Midi de la France. Maraichers et arboriculteurs, établis de surcroît en zone transfrontalière, avons subi de plein fouet l’entrée prématurée de l’Espagne et du Portugal dans la communauté européenne. Des compensations furent prévues pour aider les agriculteurs à traverser cette période dite “transitoire”. Comment fut distribué cet argent ? Bien malin qui peut le dire aujourd’hui.

Résultat des courses, depuis les années 80 le seul département des Pyrénées-Orientales est passé de 14 700 exploitants toutes productions confondues à moins de 3 000, alors que, dans le même temps, le flux des camions chargés de marchandises importées transitant par la frontière franco-espagnole était multiplié par 10. Quant aux serres construites à partir des années 70 pour permettre aux maraichers de gagner en précocité et en compétitivité, à l’instar des friches industrielles, elles furent progressivement abandonnées, démontées ou revendues aux poids de la ferraille dans les pays de l’Est. Depuis, du côté d’Almeria, 26 000 hectares de serres produisent de quoi inonder le marché européen. Notre Premier ministre vient d’ailleurs d’inaugurer le “train des primeurs” par lequel doivent transiter sur le sol français des productions majoritairement importées du Maroc et d’Andalousie, la préférence franco-française, vous l’aurez compris, n’étant qu’une vue de l’esprit.

Pour clore ce propos, une petite anecdote. Toujours dans les années 90, alors que je siégeais au conseil d’administration du Centre national des Jeunes Agriculteurs, j’avais abordé, lors d’une rencontre à l’Élysée avec le président de la République, la mévente des tomates, principalement due aux compétitions espagnoles et marocaines. Jacques Chirac, fin connaisseur des questions agricoles, avait spontanément eu cette phrase : “Vous savez, la paix en Méditerranée, personne ne s’y opposera !”
Tomates ou poisson, sidérurgie, textile, industrie, agriculture, pêche, le dilemme est le même quand la géopolitique, sous couvert de diplomatie, envoie à la casse des pans entiers de notre économie. Ensuite passent les décennies. Et l’on ouvre des musées pour se souvenir de ce qu’était le fleuron d’un pays. Avant le déni et l’incurie. Sur terre comme en mer, avant le mépris.

Jean-Paul Pelras

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