Lettre à Jean-Luc Mélenchon, prophète [par Jean-Paul Pelras]
Monsieur,
en politique, nous pouvions déjà compter sur quelques troubadours et autres artistes de variété ou bonimenteurs notoires de retour dès qu’advient le temps des compétitions électorales. Voilà que vous venez d’apporter une touche d’exotisme supplémentaire au débat, en prévoyant l’avenir et en déclarant dimanche dernier : “Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle vous aurez un grave incident ou un meurtre.” Vous faites référence aux attentats survenus à Toulouse en 2012 et rajoutez à ce titre : “On aura l’évènement gravissime qui permettra une fois de plus de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile.”
Et voilà que la classe politique s’enflamme en condamnant vos propos et en alimentant de facto ce culte de la persécution dont vous êtes à la fois friand et coutumier. Car que serait la politique française sans Mélenchon ? Et que serait Mélenchon sans celles et ceux qui guettent ses faux pas pour s’indigner à la moindre occasion ?
Nous connaissions votre art de la duplication avec des hologrammes qui multiplient votre image de meeting en meeting. Voilà que nous vous découvrons prophète, capable de supputer un complot susceptible d’influencer le résultat des élections.
L’histoire ne dit pas si, pour prêcher le sermon prémonitoire, vous utilisez la boule de cristal, le marc de café, les cartes, les entrailles d’animaux sacrifiés ou le non moins célèbre jeu de coin-coin connu pour son mystère du papier plié.
À contrecourant des candidats lambdas, vous ne promettez pas l’intenable, vous prévoyez l’insaisissable qui, de surcroît, pourrait une fois de plus s’avérer être insoutenable.
Considérant le don qui vous habite, la France a peut être trouvé son candidat providentiel. Celui qui pourrait, par le jeu mêlé des intuitions et des déductions, connaître par avance les bonnes combinaisons du futur. Celles qui nous tiennent à distance de l’illusion et de la déception, car elles reposent sur l’acuité et sur la perspicacité dont vous êtes incontestablement équipé.
Mieux que Paul le poulpe, la vache Yvonne, l’éléphant Citta, plébiscités pour annoncer le résultat des matches de foot, vous êtes donc, Monsieur Mélenchon, l’homme idoine dont notre pays a besoin pour tracer son destin. Un talent que vous pouvez, même s’il vous en coûte, mettre à disposition des industriels soucieux d’optimiser leurs parts de marché. Ayons également une pensée pour les agriculteurs qui aimeraient en connaître un peu plus sur la météo afin de savoir ce qu’ils pourront ou non récolter. Sans oublier les scientifiques qui ne savent plus à quel vaccin se vouer ou encore les politiques qui n’hésiteront certainement pas à consulter le seul oracle capable de pronostiquer ce que sera le résultat du suffrage et qui va le remporter.
Une aptitude à la divination héritée peut-être de ce temps où vous étiez enfant de cœur et serviez la messe en latin. Car qui sait mieux que vous finalement, entre le divin et le devin, entre les nuances du politicien et celles du prédicateur, ce que deviendra notre pays s’il devait passer un jour des mains du marchand de rêve à celles du marchand de peur.