Lettre à celui dont le commerce a été saccagé [par Jean-Paul Pelras]

Plus rien, il ne reste plus rien ou presque de ce que vous avez mis des années à construire. Partis en fumée la boutique, le garage, le bistrot, la pharmacie, un peu plus loin l’école, la gendarmerie, le supermarché, le gymnase, la bibliothèque, la mairie… Des gens sont venus au milieu de la nuit, cagoulés ou pas, pour saccager, brûler, voler, emporter ce que vous aviez “la chance” de posséder, avant de repartir les bras chargés sous l’œil, de toute évidence devenu totalement inutile, des caméras.
Je dis “des gens” car il faut faire très attention de nos jours à ce que l’on écrit, car il faut prendre en compte les “circonstances atténuantes” dont peuvent bénéficier ceux qui pillent à l’avenant et propagent les incendies.

Bien qu’équipés d’un certain savoir vivre, nous serions, à ce titre, quelques millions à pouvoir procéder de la sorte. Autrement dit, à ne plus considérer les limites qui séparent le payant du gratuit. Imaginons le scénario selon lequel nous pourrions débarquer dans vos magasins en pleine journée ou à la nuit tombée, avec ou sans voiture bélier, pour nous servir et, au passage, tout dégrader en toute impunité puisque nous sommes des citoyens français.
Si l’interrogation peut paraître “insolite”, elle interpelle sur la légitimité d’une certaine sédition. Celle qui couve depuis quelques mois aux quatre coins du pays, comme pour défier le pouvoir en place, comme pour jauger la capacité d’indignation, comme pour mesurer la faculté de destruction. Car le verbe “détruire” est celui qui correspond le mieux au contexte actuel. Voisin de “déconstruire”, il fait écho à un certain idéal, à une certaine complaisance politicienne. Celle qui utilise la colère des uns et des autres pour fabriquer, nous y venons, le combustible et alimenter la combustion.

Du vandalisme cautionné sur les exploitations agricoles aux évènements que connaît, ces jours-ci, notre pays avec le saccage de vos commerces et celui des institutions, nous sommes invités à respecter le culte de la persécution en faisant preuve de repentance, en récitant sagement notre acte de contrition devant ceux qui ne veulent plus établir de différence entre celui qui construit et celui qui détruit, entre celui qui répare et celui qui s’égare. Là où les limites de l’acceptation sont franchies. Là où nous ne sommes peut-être pas assez qualifiés pour comprendre le désarroi d’une certaine population, mais où nous serons, tôt ou tard, sollicités pour endosser le coût de ces dégradations.
D’une députée qui participait, aux côtés des Soulèvements de la terre, au saccage d’une exploitation maraichère, à celles présentes lors de la marche blanche jeudi dernier, les ficelles de la récupération politique tiennent moins du fil de pèche que du câble à débarder.

Étrange République en effet où, tandis que la France brûle, ceux qui sont censés la protéger jouent avec les allumettes d’un côté ou vont, de l’autre, assister, comme si de rien n’était, au concert d’un troubadour anglais entre deux tirs de mortiers.
Surréaliste, totalement surréaliste ! Avec, en fond d’écran, cette propension à se dire, depuis des années, que tout va s’arranger, que le prochain président, la prochaine majorité, les prochains gouvernements vont s’en occuper. Un peu comme si la délégation et la relégation sine die des problèmes étaient inscrites dans la Constitution. L’important étant de pouvoir exister d’un mandat sur l’autre, d’une investiture à l’autre, d’une forfaiture à l’autre. En comptant sur le temps qui passe et sur l’acceptation de nos petites sociétés à supporter l’inacceptable. À supporter cette partition sociétale qui cherche, à gauche comme à droite, aux extrêmes, en marche comme à l’arrêt, la porte de sortie du côté des accommodements raisonnables.
Depuis 2017, nous disposons, à ce titre, d’un mot largement usité par ceux qui nous gouvernent : la “résilience”. Ou comment apprendre à nous resigner, bon gré, mal gré et en toutes circonstances !

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