Lettre à Barbara Pompili qui incite à surveiller les paysans [par Jean-Paul Pelras]

Madame,
les agriculteurs sont cernés. D’une part, avec le dispositif Phytosignal animé par les Agences régionales de santé en Nouvelle-Aquitaine, Pays-de-Loire ou Bretagne, qui permet, comme son nom l’indique, aux riverains de signaler l’épandage de produits phytosanitaires à proximité de leurs domiciles. Et, d’autre part, avec le lancement de sites Internet mis à disposition des préfectures pour renseigner sur les zones traitées. Deux dispositifs complémentaires qui se rajoutent à ceux déjà existants et qui auront, à minima, le don d’exacerber les tensions dans nos campagnes si l’on considère le degré d’hystérie collective suscité par ce sujet.
Et voilà qu’après la délation suggérée par les ARS, la surveillance officielle, puisqu’elle est encouragée par votre ministère, s’ajoute à la stigmatisation d’un monde paysan déjà suffisamment contraint par les normes environnementales imposées. D’ailleurs, pourquoi contrôler avec autant de zèle ceux qui sont autorisés par ces mêmes normes à protéger leurs productions ? Si ce n’est, une fois encore, pour les décourager et les désigner implicitement.

Madame la ministre, pour avoir été maraicher et arboriculteur dans une autre vie, je peux vous certifier que le paysan n’attèle pas son pulvérisateur pour empoisonner le voisinage, mais pour protéger ses cultures quand elles sont menacées par une maladie ou un prédateur. La notion qui consiste à défendre son outil de travail semble, à ce titre, vous échapper totalement.
Nous sommes pourtant en train, mais cela ne vous préoccupe peut-être pas, de devenir dépendants sur le plan alimentaire de pays étrangers qui ne s’embarrassent d’aucune norme environnementale pour usurper nos marchés.
Sachant que nous venons de perdre plus de 100 000 paysans en 20 ans, continuez à serrer la bride autour des pratiques agricoles françaises, et vous pourrez bientôt mettre vos contrôleurs au chômage car il ne restera plus un seul agriculteur sur le territoire français pour produire des fruits, des légumes, un litre de vin ou de lait, un kilo de viande ou de fromage.

Le vivant, et nous le voyons avec la pandémie du moment, peut être soumis d’un instant à l’autre aux caprices de la nature et des éléments. Les progrès scientifiques permettant de lutter contre ces aléas ont contribué à sécuriser les besoins alimentaires. L’exemple du Sri Lanka, revenu du bio pour retourner au conventionnel, devrait à ce titre vous renseigner sur le sujet et sur “la peur de manquer” qui menace les populations quand les idéaux ne parviennent plus à remplir l’estomac.
L’agriculture n’est pas une profession que l’on peut exercer en dilettante depuis les préfectures et les ministères. Il faut connaître de l’outil et l’usage et le prix, savoir ce qu’il en coûte de troquer la machine à désherber contre la pioche et la bêche à longueur de journée, dans le froid de janvier ou dans la lumière pulvérulente de juillet.
Oui, madame Pompili, savoir ce qu’il en coûte quand les ampoules éclatées collent, entre eux, les doigts de la main, quand le geste mille fois répété vous fauche les reins.

L’acharnement dont les agriculteurs sont victimes est en train de faire basculer le monde paysan. Il n’est plus considéré pour son rôle nourricier, mais comme étant devenu nuisible à la société. Ce paysan qui est pourtant confronté, comme l’écrivait ailleurs Rimbaud, à une dure réalité à étreindre. Que ceux qui le désignent, le dénoncent, l’accusent de tous les maux, puisque de toute évidence ils semblent connaître les subtilités du terrain, aillent lui prendre l’outil des mains. Et nous verrons alors, Madame, qui du ministre, du conseiller ou du paysan saura le mieux nourrir la France, protéger ses cultures et labourer son champ.

Cette tribune du rédacteur en chef de L’Agri a été publiée dans le journal l’Opinion le 20 janvier 2022.

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