Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : Bassines

J’en étais resté à ce récipient en matière plastique, en inox ou en cuivre destiné aux usages domestiques, à la cuisine ou à la cuisson des confitures. Vision bucolique d’une grand-mère touillant rhubarbe, abricots, myrtilles, cynorhodons… dans un chaudron au cœur de l’été, entre l’heure de la sieste et celle du goûter. À moins qu’il ne s’agisse de celle du grand-père, installé sous le tilleul ou le figuier, pantalons retroussés jusqu’aux genoux, les pieds trempant dans une (autre) bassine pour soulager les douleurs rhumatismales ou musculaires, améliorer la circulation sanguine, lutter contre les mycoses ou, tout simplement, se rafraîchir et se relaxer. Cette bassine (encore une autre), qui servait pour la vaisselle, pour le linge et pour tout ce qu’il fallait nettoyer, posée près de l’évier ou au pied du lit les lendemains de cuites entre deux apéritifs anisés.

La bassine donc et son petit nom, le bassinet, déniché dans les pages du Dictionnaire des mots rares et précieux cher à Jean Paulhan. Il est ici question, non pas d’un ustensile familier, mais d’une fleur qui l’est tout autant, la renoncule bouton d’or. J’eusse préféré le « coquelicot » car il m’aurait permis d’établir une transition entre l’objet et la contestation. Celle dont le mouvement écologiste éponyme est coutumier là où quelques grands trous doivent être creusés.
Nous y voilà, dans ce Puy de Dôme, pays de cratères et de volcans où, le week-end dernier, 4 000 militants selon la préfecture et, comme il se doit, 6 500 selon les organisateurs, se sont mobilisés pour protester contre la construction de deux réserves d’eau destinées à irriguer des cultures dans la plaine de la Limagne. Parmi les protagonistes, des membres de la Confédération paysanne, d’Extinction rébellion et, entre autres associations spécialisées dans le saccage des biens d’autrui, Les soulèvements de la terre, un temps menacés de dissolution.

Une action soutenue par la présidente des écologistes Marine Tondelier, le député européen Benoit Biteau et l’écologiste Lena Lazare dont le curriculum vitae précise sur Twitter « Jeune paysanne, je prépare mon installation en grandes cultures bio. Engagée contre l’agro-industrie chez Les soulèvements de la terre ». Léna Lazare répondant, toujours sur les réseaux sociaux, à Céline Imart, agricultrice candidate Les Républicains aux élections européennes, qui écrivait « Ces petits bobos radicalisés détestent les agriculteurs » : « Forcément ça pleurniche fort pour défendre la méga-bassine de la multinationale Limagrain. La manif a été organisée par des paysans. Bien entendu quand des infrastructures pareilles ne sont accessibles qu’à environ 5 % d’entre nous, ça crée des tensions. » Et plaf, les pieds dans la bassine pour dénoncer « la multinationale ». Parce que, de l’Eurovision à la retenue d’eau en passant par les universités et les studios de cinéma, tout est bon, de nos jours, pour dézinguer à tout va. Y compris ces bassines et bien d’autres qui auraient pu être remplies ce printemps, un peu partout sur le territoire, avec les eaux de pluie et de ruissellement en prévision de l’été. Seulement voilà, c’était sans compter sur l’alibi hydraulique sournoisement récupéré par l’incurie politique.

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