Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : Albert !

En 1 622, il est béatifié par le pape Grégoire XV, en 1932, il est canonisé par Pie XI ; en 1941, il est proclamé saint patron des savants chrétiens par Pie XII. Et voilà que, en 2024, le Premier ministre emprunte son blase pour en faire l’intercesseur de l’Intelligence artificielle française. Voici donc « Albert », sorte d’hybride serti quelque part entre l’homme et la machine, créé pour aider les Français dans leurs démarches administratives.
Afin de comprendre, sans avoir accès à un quelconque programme imaginé pour économiser nos neurones, consultons cet extrait publié par « Solutions numériques et cybersécurité » qui nous apprend qu’Albert aurait été développé au sein de la Direction interministérielle du numérique. Ce qui, certains en conviendront peut-être, par les temps qui vont, n’est pas forcément de nature à nous rassurer. « L’application “Albert France services” permet, via un moteur de réponses en langage naturel, de faciliter l’accès aux informations pour les conseillers France services en générant des réponses adaptées à la situation de l’usager. » Et Ulrich Tan, chef du « Datalab » de préciser : « L’agent pose une question à Albert en décrivant la situation de l’usager et reçoit la réponse ainsi que les sources sur lesquelles Albert s’est appuyé, des liens et des fiches pratiques issues de service-public.fr ».

Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que, effectivement, tout ne tournait plus très rond à l’autre bout du fil lorsque l’on essayait d’obtenir quelques informations dans certaines administrations, notamment depuis la période Covid. Difficile en effet de pouvoir échanger avec un humain entre deux musiques d’ascenseur et le « Tapez 1, tapez 2, tapez 3… Veuillez patienter un conseiller va vous répondre… En raison d’un trop grand nombre d’appels veuillez ressayer une autre fois… » Et voilà qu’une autre machine vient remplacer la machine qui ne répondait pas. On avance puisque, d’insaisissable, l’intelligence est donc devenue artificielle. Et ce, avec un Premier ministre qui déclarait le 23 avril dernier vouloir « débureaucratiser la France ». « À l’IA les tâches rébarbatives, et aux agents publics le lien avec nos concitoyens […] L’analyse de la réglementation sera automatisée, les réponses drastiquement accélérées et le travail des agents rendu moins pénible et plus intéressant »

Nous apprenons également qu’Albert va réinstruire 4 000 projets environnementaux déposés chaque année dans les Directions régionales de l’Environnement et sera sollicité pour automatiser la retranscription d’audiences judiciaires, le dépôt de plaintes et autres comptes rendus médicaux. Une information qui aura, à n’en point douter, de quoi rassurer ma belle-mère, âgée de 92 ans. Laquelle vit dans un petit village des Pyrénées où elle attend depuis des mois qu’un médecin daigne revenir travailler dans la vallée pour prendre la tension et renouveler les remèdes, quelque part entre l’ancienne épicerie et le château d’eau où il faut encore se transporter pour capter un peu de réseau.

Nonobstant ce détail champêtre qui semble ne plus préoccuper ceux qui n’ont pas de temps à perdre avec les sous-populations rurales, nous aurons donc désormais affaire à des robots qui ne se laisseront distraire ni par les priorités, ni par les émotions. Avec, in fine, ces deux questions : qui de l’homme ou de la machine va conseiller l’autre et, de facto, le diriger ? Qui de l’algorithme ou de son créateur gardera ou prendra la main sur Albert et tous ses petits copains mutants contrôlables ou pas, marchands de pensées recalibrées et forcément usurpateurs d’emplois ? Tel ce Catoblépas, monstre antique et stupide qui dévora ses propres pattes pour se nourrir. Ah, si Albert savait ça !

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