L’écharde (Par Jean-Paul Pelras)

Au chapitre des péripéties enfantines, nous retiendrons l’estafilade champêtre qui nous rappelle quelques périlleux passages à côté des outils attelés, quelques glissades sous le fil de fer barbelé et cette cicatrice près du coude que l’on doit au dérapage du Solex sur le gravier. Citons encore quelques piqûres de vive, de guêpe ou d’araignée, le coup de soleil, le chagrin d’amour, le mal de mer, la glissade sur les rochers, la première biture et, bien sûr, cette écharde dont la mémé, non sans une certaine délectation, a bien voulu s’occuper. Quand, investies d’une grande mission, nos aïeules se font rarement prier pour extraire ce que les scientifiques ont l’habitude d’appeler un corps étranger. En l’occurrence, bien sûr, il s’agit ici d’un bout de bois provenant de quelque planche destinée au cabanon qu’ils étaient en train de fabriquer. « Montre-moi ça et mets toi là, dans la lumière pour que j’y voie » Et hop, l’aiguille à coudre passée sur le brûleur de la Rosière, l’index pressé jusqu’au sang entre le pouce et le majeur, ce morceau d’écorce noir qui ne veut pas sortir, la mémé qui insiste, l’aiguille qui soulève la peau, les mains deviennent moites. « Ça va, Mémé, elle est sortie » « Arrête de bouger, je te dis qu’elle y est encore » Et un coup de plus, il faut descendre plus bas, l’intrus résiste. « Tu me fais mal » « Douillet, moi à ton age … » Et le frangin par-dessus l’épaule qui n’ose même plus regarder. Enfin, la voilà, plus petite que prévue. « Attends, laisses moi regarder, je crois qu’il en reste un morceau » « Mémé, je te dis que ça y est » Allez on jette, l’écharde. Sirop de framboise et portion de gâteau.

Jean-Paul Pelras

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