Persona non grata au congrès (CNJA) de Rodez [par Jean-Paul Pelras]

Le 19 juin 1994. Nous sommes à Rodez, dans l’Aveyron, où se déroule le congrès annuel de ce que l’on appelait encore Centre national des jeunes agriculteurs devenus depuis JA, contraction du sigle syndical proportionnelle à celle de l’agriculture française, puisque le nombre d’exploitations est passé, en une trentaine d’années, d’environ 1 million à 400 000. Éleveur en Seine et Marne, Christian Jacob, qui basculera quelques années plus tard dans la politique en devenant ministre et en prenant la tête des Républicains, cède la présidence du CNJA à Christiane Lambert, éleveuse dans le Maine et Loire.

À la faveur de cette transition qui revient pour la première fois à une femme, le conseil d’administration est renouvelé et des représentants sont élus au sein de certains départements. Désigné par celui des Pyrénées-Orientales et déjà président de la Commission fruits et légumes Méditerranée, je suis appelé à siéger pour deux ans rue de la Boétie. Appelé à siéger, mais pas à figurer sur la photo de groupe. Explications : Comme le veut la tradition, les membres “nouvelets” sont conviés à la tribune pour poser aux côtés du ministre de l’Agriculture, en l’occurrence l’Aveyronnais Jean Puech, avant son discours de clôture.
La petite délégation des P.-O., une dizaine de fantassins au total, se tient dans les gradins. Je me dirige “légitimement” vers l’estrade pour rejoindre mes petits camarades et immortaliser l’instant qui permet à notre département de faire entendre sa voix jusqu’à Lutèce. Trois individus s’approchent, service d’ordre, renseignements généraux, policiers en civil… ? Je ne sais plus très bien.

À quelques mètres de la tribune, ils s’interposent et me signifient une interdiction d’avancer, ou plutôt d’approcher le ministre. Les motifs sont flous et finissent par se préciser lorsque les “bodyguards” de faction me rappellent que, ayant été incarcéré quelques mois plus tôt et ayant eu de facto des démêlés avec la justice, je ne dois pas être en contact avec le locataire de la rue de Varenne. Rappelons que je fus momentanément “hébergé” par l’État Français, non pas en tant que narco-trafiquant ou, comme le sont parfois certains membres du gouvernement, pour détournement de fonds ou prise illégale d’intérêts. Mais, tout simplement, pour avoir défendu une profession, en l’occurrence celle d’agriculteur qui me valait d’être présent sur la photo parmi les membres dudit conseil d’administration.

Évidemment le ton monte, la délégation des P.-O. (et je dédie ce petit passage à l’ami Piéron qui faillit y laisser l’arcade sourcilière) descend dans l’arène, les pancartes volent, les empoignades sont de rigueur, quelques baffes se perdent, les amabilités sont fournies avec.
Christiane Lambert et Christian Jacob interviennent alors auprès des autorités compétentes. Une certaine confusion règne à ce moment-là avec, il faut le dire, une présidente fraichement élue qui tente de gérer au mieux la situation et certains membres du conseil d’administration qui auraient dû, ou pu, intervenir. Rien n’y fait, pendant que, sur l’estrade, ceux qui sont censés défendre les paysans posent tout sourire aux côtés du ministre, un autre paysan est empêché parce qu’il a osé manifester.

Quelques mois plus tard, nous avons fini par rencontrer le ministre chez lui, dans l’Aveyron, (voir édition de la semaine dernière). Et, pendant 30 ans, même si nous n’avons pas toujours étés d’accord, j’ai continué à échanger régulièrement avec Christiane Lambert devenue, entre temps, présidente de la FNSEA puis du Copa-Cogeca Européen. De cet épisode et de ceux, encore plus tumultueux, qui suivront, je garderai cette conviction : les arboriculteurs, les maraichers et les vignerons du Midi de la France seront toujours, dans les instances nationales et auprès de leurs syndicats, considérés comme étant persona non grata.

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