Justus von Liebig, par ici la bonne soupe ! [par Yann Kerveno]

Cet été, L’Agri vous emmène à la rencontre de personnages hors du commun. Aujourd’hui, Justus von Liebig, l’homme qui a compris l’importance de la chimie pour l’agriculture.

Certains noms sont devenus des marques au point qu’on en oublie qu’ils ont été des noms. C’est le cas de Liebig. Connu pour ses bouillons, Justus von Liebig a, comme Olivier de Serres, marqué l’histoire de l’agriculture en plus de celle de l’alimentation. Né en 1803 en Allemagne, chimiste, Justus Von Liebig a publié un ouvrage majeur, en 1840, “Die Chemie in ihrer Anwendung auf Agricultur und Physiologie”, plus connu sous le nom raccourci de “La chimie agricole” en français. Le livre veut tenter de faire comprendre que la chimie, c’est la base de tout, même en agriculture. Que l’observation des règles de la chimie pouvait faire progresser l’agriculture, sans pour autant entrer en conflit avec les méthodes traditionnelles encore employées au XIXe siècle. La première édition du livre est publiée en 1840. L’agronome Jean-Louis, Dumas, qui a consacré un long et passionnant papier à cette œuvre de Liebig, explique que le chimiste allemand est le premier à avoir compris qu’il fallait rompre avec le circuit habituel et fermé de l’agriculture.

Rupture

“Liebig a rompu le circuit fermé dans lequel évoluaient les matières minérales entre la terre, les plantes, les animaux, le fumier et la terre” écrit-il. Un système parvenu à son apogée au XVIIIe siècle et qui ne permettait plus de faire progresser les rendements. “Liebig a permis d’utiliser l’usine-plante, d’utiliser des matières minérales d’origine industrielle et l’a libérée d’une servitude naturelle. C’est une dimension nouvelle dans le phénomène agricole” poursuit-il sans masquer son admiration. Qu’a donc fait Liebig ? Il comprend que si la plante prélève dans le sol de l’ammoniac, de la potasse et de l’acide phosphorique, alors on peut apporter ces éléments de l’extérieur pour compenser et maintenir le potentiel du sol. Il comprend aussi que l’appauvrissement des sols est la cause des baisses de fertilité si l’on ne compense pas. Il liste même les éléments que les plantes consomment, potasse, chaux, soufre, magnésium, calcium et fer, même s’il ne perçoit pas, c’est un peu tôt, le rôle des bactéries…

Chloroforme, miroir…

C’est à partir de là que l’on s’est intéressé aux amendements et qu’on a pris conscience que le guano du Pérou, les ossements ou encore le noir d’animaux, n’étaient pas des ressources pérennes et qu’il fallait anticiper, trouver d’autres moyens. À partir de là se sont développées de petites industries utilisant des craies phosphatées ou tirant des produits azotés de la houille. Avec le recul, nous savons aujourd’hui combien aussi il se trompait parfois (n’avoir pas deviné l’existence de gisements de potasse ou que l’on pourrait un jour synthétiser l’azote, procédé que l’on doit à Haber-Bosch)… Mais nous serions mauvais joueurs de ne pas lui accorder crédit pour sa compréhension de la chose agricole et des progrès qui en ont découlé. Sachez aussi qu’il a découvert le chloroforme ou le procédé qui permet de déposer une fine couche d’argent sur du verre pour fabriquer des miroirs, qu’il a classifié trois grandes classes d’aliments, hydrates de carbone, graisse et albuminoïdes…

Et bouillon cube

Voilà qui nous amène à l’histoire du bouillon cube. En 1853, son ami James Muspratt lui confie ses enfants pour un séjour linguistique. Séjour lors duquel un des enfants, Emma, souffre d’un typhus abdominal causé par une salmonelle (mais on ne le savait pas, leur existence ne sera découverte qu’en 1818). La jeune fille ne peut plus s’alimenter et son état se dégrade rapidement. Justus réfléchit et se dit que la seule solution est de préparer des extraits de viande pour nourrir la jeune femme. Une solution qu’il avait en tête, depuis plusieurs années visiblement, parce qu’il cherchait une solution pour remédier aux disettes et malnutritions qui émaillent le siècle. Par ses travaux, il en était arrivé à la conclusion, une dizaine d’années avant, que l’apport nutritionnel de la viande était différent de celui des aliments d’origine végétale, à cause des protéines (découvertes en 1838 mais encore mal connues). Il a aussi remarqué que la viande transfère une partie de ses caractéristiques à l’eau chaude en faisant fondre la gélatine, la créatine, les phosphates et d’autres trucs qui ne sont pas encore découverts. Sa conclusion ? Les éléments nutritifs de la viande sont transférés à l’eau… Il décrit la recette en 1844. La viande doit être hachée et cuite 30 minutes dans 8 à 10 volumes d’eau, puis une fois éliminée la matière grasse, le bouillon est concentré au bain-marie. Cette intuition sauvera Emma et Justus von Liebig peut voir plus grand.

Affiche publicitaire Liebig

Amérique du Sud

Pour autant, des extraits de viande, composés surtout avec des produits destinés à l’équarrissage (os, gélatine…), existent déjà sur le marché mais ils ont une faible valeur nutritive. Il sait aussi qu’il faut beaucoup de viande pour produire de l’extrait de viande. Le rapport est de 30 pour 1. Justus von Liebig s’allie alors avec l’industriel Georges Christian Giebert pour créer la Liebig’s Extract of Meat Company dans les années 1860, avec la construction d’une usine en Uruguay. Pourquoi l’Amérique du Sud ? Parce que le bétail y est nombreux, exploité principalement pour sa peau mais pas pour la viande… En 1865, l’entreprise est cotée en Bourse et de son usine sortent très vite 500 tonnes d’extraits de viande par an, un peu plus tard, elle mettra aussi au point le premier “corned beef” et la marque Oxo part à la conquête du monde en 1899… Depuis, l’extrait de viande de Liebig, il est mort en 1873, a changé de statut. De médicament, les progrès de la médecine ont largement réduit au fil des ans le champ de ses bienfaits, il est devenu ingrédient de cuisine.

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