Il y a un an, Federico était abattu en plein cœur de Paris [par Jean-Marc Majeau]

C’était il y a un an. Sur une avenue célèbre, un homme était abattu comme un félin dans une réserve tanzanienne, par deux braconniers juchés sur une jeep militaire pilotée par une amazone. Trois interdits de séjour qui avaient décidé de profiter de la fête précédant un match de rugby pour venir libérer leurs instincts nuisibles au contact des noctambules installés aux terrasses. Ce matin-là, à l’aube, ces justiciers ont vidé leurs chargeurs dans le dos d’un rêveur. La victime était un sportif, argentin, facétieux, imprégné de valeurs de respect et de solidarité. Un homme libre de la pampa, qui avait, dès l’enfance, troqué le ballon rond cher à son peuple, pour celui, ovale, des rugbymen albi-celestes, un jaguar sur le cœur et un puma dans l’esprit.

Brassens disait que “les morts sont tous des braves types”. C’est souvent faux. Pas pour Lui. “Fede” était un mec bien. Il avait cet accent Sud-américain qui fait chanter notre langue française. Rien ne semblait capable d’éteindre le sourire qu’il arborait toujours, quelles que soient les situations. Sauf ces projectiles sauvages qui lui infligèrent le dernier placage. Le motif, on le connait : il avait eu l’audace de s’interposer et de prendre la défense d’un inconnu que les futurs criminels molestaient dans une taverne du quartier latin. Cette intervention, vexatoire pour ces hominidés prétentieux, valait, selon eux, la sentence suprême. Federico Martin Aramburù fût traqué puis froidement exécuté ! Outre la tristesse et l’effroi que cette nouvelle a provoqué chez tous ceux qui ont connu ce joueur, ceux qui, comme lui, auraient pu être attablés, ce soir-là, une bière à la main, ce fait divers inquiète finalement par sa banalité. La violence redevient un mode d’action et un mode de vie. Les fondements de la société, le dialogue, la solidarité, l’entraide, ont laissé place à une lutte permanente où la valeur suprême devient le “leadership”.

Une civilisation ne peut se construire sans fondations et sans idéal

Notre président insiste sur la nécessité pour chacun de s’épanouir en réalisant son destin personnel, forcément exceptionnel. Ne pas en avoir relève de l’échec, engendre la frustration, l’amertume et, au final, pour certains, la violence, au service des causes les plus futiles. Il n’est pas anodin de constater que le principal accusé dans cette histoire ait été retrouvé à la frontière de l’Ukraine où il pensait pouvoir disparaître, se transformant en héros des nouvelles “brigades internationales” pour s’absoudre du crime qu’il venait de commettre. Le constat est que notre société est parvenue, en très peu de temps, à un délitement putride. Une civilisation ne peut se construire sans fondations et sans idéal. Les nôtres ont disparu ! Le fronton des mairies arborent un message aujourd’hui obsolète : “Liberté, Égalité, Fraternité”. Trois mots qui n’ont plus aucun sens. Encore incités à circuler et à subsister en respectant des conditions précises, nous ne sommes déjà plus libres de construire un avenir, celui qu’on nous promet étant, en permanence, présenté comme incertain et anxiogène. Nous ne sommes plus égaux, ni devant la loi, ni devant la maladie, ni devant les bancs de l’école. Nous ne sommes plus frères puisque notre voisin est devenu notre ennemi, au prétexte qu’il est trop étranger, trop jeune, trop vieux, trop genré, trop riche ou trop pauvre, consommateur de viande ou allergique au Tofu. Chacun d’entre nous demeure désormais seul, livré à lui-même, n’attendant plus rien de son prochain.

Federico est mort d’avoir fait preuve de solidarité, abattu par des chiens aigris, orphelins d’un destin suprême, vexés de n’être pas suffisamment rayonnants pour qu’on les remarque autrement que par la crainte qu’ils inspirent lorsque l’on croise leur chemin. Des pitbulls sans muselière qui vous sautent au cou sans sommation ! Un an après, combien ont oublié la tragédie ? Presque tout le monde excepté sa famille, ses trois enfants et les multiples amis qui le pleurent, sans comprendre pourquoi le monde est devenu aussi cruel. Ils ne savent pas que ce garçon est finalement mort des métastases d’une maladie sociétale qui ne fait que commencer, attisée par le cynisme et la mégalomanie de ceux qui, normalement, devraient en guider l’évolution sereine. 

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