Génération psycho ?
D’emblée, écartons toute ambiguïté ou vaine polémique : je porte un masque chirurgical dans la rue, dans les commerces, dans les bureaux et dans les salles de cours et amphithéâtres où je professe. Lorsque je fais cours, je change de masque toutes les heures car trop mouillé de transpiration également. Le lavage des mains, le gel, les mouchoirs à jeter… Tout ça, c’est de l’élémentaire que mes parents m’avaient déjà enseigné il y a fort longtemps. Le nettoyage des surfaces utilisées avant et après, c’est également fait. Voilà, c’est clos.
Il est toutefois des questions qu’on peut légitimement se poser car on peut être respectueux des lois et des règlements en vigueur tout en gardant ses esprits et en regardant autour de soi. Ainsi, que dire de cet abandon, juste avant la rentrée de septembre, de cette “distanciation sociale/physique” dont la nécessité avait été rabâchée tout au long de ce drôle d’été ? Bien évidemment, on n’a pas construit d’amphis pendant ces deux mois, on n’a pas élargi les couloirs ni les portes d’accès, on n’a pas poussé les murs. Les étudiants, qui ont fait leur rentrée depuis trois semaines, s’entassent donc dans des amphis et des salles bondées, sans possibilité de courants d’air, les “cohortes” se succédant dans les mêmes locaux après s’être croisées dans les espaces communs. Mais, bien sûr, avec port obligatoire du masque, même lors de ces dernières semaines de chaleur estivale. Quelques malaises dans leurs rangs, une fatigue anticipée alors que les programmes débutent à peine, bref une forme d’état dépressif qui gagne cette jeunesse. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs lorsque tous les messages officiels ne cessent de dénoncer leurs comportements : ils feraient trop la fête et ne vivraient qu’en groupes/bandes “irresponsables” ?
On leur intime donc l’ordre d’être sérieux : aller s’entasser en cours, travailler, aller s’entasser à la B.U., travailler, aller s’entasser en Cité U ou au Restau U, travailler, ne pas rentrer chez les parents, travailler, ne pas fêter d’anniversaires, travailler et surtout, surtout, ne pas réfléchir et garder son masque.
Au-delà du “no future” ?
Alors que certains médias n’hésitent pas à parler de “génération Covid” et que, dans le journal Le Monde, une tribune a été consacrée à cette “génération confinement (qui) paiera pour les boomers”, la question se pose réellement de l’état mental dans lequel se trouve cette génération, celle sur laquelle il faudra bien compter demain, ou après-demain. Se pense-t-elle sacrifiée comme celle des années 80, initiant le “no future”, le mouvement punk et la philosophie du “do it yourself” ? Ainsi que le décrivent les auteurs de cette tribune, se pense-t-elle écrasée sous le poids des responsabilités morales et surtout financières qu’on leur fait porter et qu’il faudra assumer à l’avenir ? Ou s’agit-il de la génération qui finira d’apprendre la docilité, celle qui ne sait pas dire non ? Celle qui, selon l’Association américaine de psychologie, est décrite comme sujette au stress et n’arrivant pas à le gérer : “Surexposés à tout ce qui se passe dans le monde, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 (toute leur vie, en somme), cette génération a du mal à décrocher, y compris de ses pensées”. Le virus, les contraintes sanitaires, les paradoxes des discours officiels du style “ne vous groupez pas, mais restez groupés” ou encore “l’économie se redresse mais les plans de licenciement se multiplient”, les incertitudes sur leur avenir et notamment professionnel, tout cela, ils se contentent de l’absorber comme des papiers buvards, nourrissant ainsi, encore et encore, leur angoisse générationnelle.
Mais il en sera demain pour cette génération comme pour les générations précédentes, certains joueront toujours à part, les plus cyniques, qui spéculent déjà sur les conséquences actuelles de la crise sanitaire et pensent au contraire que “l’emploi des jeunes devrait rester boosté car en période de ralentissement, les entreprises privilégient les salariés les moins onéreux !”. C’est la conclusion émise par la vice-présidente de la Conférence des Grandes Écoles, interrogée sur le décalage existant entre l’inquiétude des jeunes diplômés et la situation réelle de l’emploi : “Génération psycho”, c’est ça aussi…