Élevage : un automne compliqué ! [par yann Kerveno]
Sécheresse, manque de fourrages, retard à l’allumage des assurances, entrave aux mouvements d’animaux… L’élevage, en particulier bovin, est dans la tourmente.
Alors que les vaches continuent d’arpenter les estives, les éleveurs de basse Cerdagne se font du mouron pour la suite. “On attend le plus possible pour descendre les troupeaux” témoigne Baptiste Clément à Osseja, “parce que sur les parcours intermédiaires entre l’estive et l’étable, l’herbe a très peu poussé. Si on commence à les descendre, dans 15 jours elles sont en bas” expliquait-il fin septembre alors qu’on se promenait encore en bras de chemise à plus de 1 200 mètres d’altitude. Et s’il ne voulait pas descendre les bêtes trop tôt, c’est bien parce qu’il a fait trop sec et que le hangar où il conserve habituellement le foin, s’il n’est vide, est très loin d’être à moitié plein ! “Cela fait maintenant deux années que nous subissons la sécheresse. Cette année, les quelques orages ont sauvé la pousse de l’herbe dans les estives en haute montagne alors que nous, en bas, n’avons rien pu faire.”
Et l’eau pour boire ?
À Mantet, Mathieu Maury, éleveur de brebis, confirme cette grande disparité. “Malgré un démarrage tardif, nous n’avons jamais eu autant d’herbe que cette année, je crois” témoigne-t-il. Et s’il a descendu les brebis, la chaleur les pousse à remonter sans cesse en limite d’estive ces derniers jours. Pour Jean-Claude Coulet, à Baillestavy, les préoccupations vont aussi au-delà de la question alimentaire. Comme au printemps, il se demande si les sources qui permettent d’abreuver les animaux vont tenir dans le temps s’il ne pleut pas de manière significative.
À Osséja, Baptiste Clément a même été contraint de demander des autorisations spéciales pour pouvoir raccorder les abreuvoirs de certains parcs au réseau d’eau potable. Quand il regarde le bilan de l’année, il n’y a rien pour se réjouir. En sec, les céréales ont subi 80 à 100 % de pertes et pour le reste, Baptiste Clément a choisi d’en récolter une grande partie plus tôt pour en faire du fourrage pour les bêtes. “Même si ce sont des céréales que je ne vends pas, j’ai préféré faire cela et si je dois acheter quelque chose, ce sera du concentré et non du foin” explique-t-il. Dans le même temps, il a sensiblement réduit la taille de son troupeau et se débarrassant d’une quarantaine de vaches pour tomber à 80 mères environ pour limiter les besoins de l’hiver. Il ne comprend pas non plus le jeu des assurances qui semblent minimiser la pousse de l’herbe (lire ci-dessous).
Que font les assurances
La basse-Cerdagne et la plaine du Roussillon sont les deux secteurs les plus touchés par la sécheresse. Non pas qu’elle n’existe pas ailleurs, mais elle y est moins catastrophique. Et nourrir les animaux cet hiver va se trouver tout aussi compliqué qu’onéreux, surtout si les mesures liées à la gestion de la maladie hémorragique épizootique empêchent les mouvements d’animaux vers l’étranger. De quoi rendre indispensable le déclenchement de l’aide de la région sur le coût des transports de foin comme le souligne Christian Tallant, éleveur à Sainte-Léocadie, lui aussi dans le secteur le plus touché, ainsi que le règlement des indemnités des assurances. Sur l’ensemble du département, les pertes calculées par la Chambre d’agriculture s’élèvent cette année, pour les fourrages, à 18 000 tonnes.
Quelle jauge ?
Le dossier de la prise en charge du défaut de fourrage par les assurances est aussi problématique. Et compliqué. Pour faire simple, le déclenchement de l’assurance, qui indemnise les pertes, est calé sur une jauge de pousse de l’herbe (indice de pousse des prairies ou IPP) fournie par Airbus grâce aux images satellitaires. Le hic, c’est que ce que dit la jauge ne correspond pas vraiment à ce qui est vécu sur le terrain par les éleveurs… Au point que c’est un des sujets qui devait être abordé lors d’une rencontre entre Fabienne Bonet, Bruno Vila et Pierre Hylari et le ministère de l’Agriculture le lundi 9 octobre. Une vingtaine d’éleveurs du département ont souscrit à des assurances cette année, après la réforme, auprès de Pacifica et Groupama, deux compagnies qui rechignent pour l’instant à déclencher les indemnisations. “Ce que nous ne comprenons pas, c’est l’écart qu’il y a entre ce que nous voyons ici en Basse-Cerdagne et ce que nous dit l’assureur pour qui il n’y a pas de sécheresse chez nous” s’emporte l’éleveur Christian Tallant. “Chez moi, sur les parcelles non irriguées, les pertes vont de 90 à 100 %, tout est complètement cramé.” Les observations menées par la Chambre d’agriculture confirment.
80 % de pertes
“Les inventaires de terrain effectués sur les prairies naturelles et les fourrages annuels non irrigués confirment ces pertes très élevées en Basse-Cerdagne, autour de 80 %. La sécheresse est aussi présente en Haut-Conflent et en Capcir mais reste modérée avec des pertes autour de 20 %” explique Emmanuel Leroy, directeur du service élevage. “Ce sont des données qui sont très différentes de celles de Pacifica. Pour Groupama, c’est plus cohérent, mais c’est le niveau de sécheresse, donc de pertes, qui ne correspond pas” ajoute-t-il. Après enquête de la Chambre et de la FDSEA, un début d’explication pourrait se nicher sur la manière dont les données satellitaires sont utilisées. “Il semble que Groupama ait fait le choix des mesures à la parcelle alors que Pacifica se reposerait sur les mesures par petite région fourragère.” Un système qui gomme possiblement la difficulté des situations individuelles… Des éclaircissements ont été demandés aux deux assureurs sur les méthodes employées…
En douce, moins 15 euros sur les éco-régimes !La semaine dernière, le Gouvernement a aussi procédé par décret pour raboter, le terme est faible, les paiements liés aux éco-régimes. Ainsi, la prime pour le premier niveau passe de 63 à 45 euros, la prime pour le second niveau (HVE, etc.) de 80 à 62 et la prime pour le niveau 3 (bio) de 110 à 92 euros. Sur le département, ce repli, publié fort discrètement au Journal officiel, se traduit par une perte sèche de 1,2 million d’euros d’aide pour l’année 2023… |