Coûts de production : le coup de chaleur de la calculette [par Yann Kerveno]

Le contexte économique rend la campagne agricole 2022 complexe à plus d’un titre.
L’Agri plonge dans le cœur des exploitations agricoles pour voir, en détail, où ça coince. Aujourd’hui, chez Ange Rama (arboriculture) et Marie-Pierre Piquemal (vigneronne indépendante).

Ange Rama : “Je n’ai pas le droit à l’erreur”

Alors que le soleil de mai fait galoper les vergers, Ange Rama a fait ses comptes. Arboriculteur à Ille, il fait partie de ceux qui essayent d’innover, de trouver des solutions aux défis de son temps. “Je suis plutôt du genre à faire des expériences, en particulier dans les recherches sur le zéro phyto, mais là, cette année, je ne le ferai pas, je ne peux pas prendre de risques, je n’ai pas de marge” regrette-t-il. En cause, les augmentations de prix subies depuis un an. Quand il sort la calculette, les chiffres sont imposants. En additionnant les augmentations des prix de l’énergie, des engrais, des produits phytos et du travail, ce sont plus de 33 000 euros de coûts supplémentaires qu’il va devoir débourser par rapport à 2020, soit une augmentation de plus de 30 % en deux ans… C’est l’augmentation du prix des engrais qui pèse le plus chez lui avec une progression de 80 % de la facture annuelle, devant le gasoil, 53 % et le travail, 25 %. “Le SMIC a pris 8 % en deux ans, mais ce n’est pas tellement ça qui grève le budget des salaires, c’est surtout la pénurie de main-d’œuvre qui fait que l’on a recours aux heures supplémentaires. C’est cela qui nous coûte le plus” explique-t-il.

Pas encore d’arbitrages mais…

“Les phytos ont pris une dizaine de pour cents, mais ce n’est pas vraiment significatif. Tout ce qui est en conventionnel, ça va. Ce sont les produits de biocontrôle qui coûtent plus cher”. Si l’augmentation des prix n’est pas très importante, cela n’empêche pas les problèmes, “à cause de la disponibilité, les temps de livraison sont plus longs que les années passées.” Heureusement pour lui, il n’aura pas à faire d’arbitrage coûteux cette année, on peut dire, en résumé, que “ça passe”. Mais il faudra tout de même un petit coup de pouce du destin. “En gros, il faudra que les pêches soient payées un euro « bord de quai » et que j’ai bien les trente tonnes à l’hectare. Sur une année normale, à 80 ou 85 centimes ça passerait, mais pas cette année. Il faudra la qualité et les rendements…” Et il se garde bien de présumer de quoi que ce soit pour la suite, l’année 2023. “Il ne faut pas trop rêver non plus, cette année l’ammonitrate est à 800 euros la tonne, je ne suis pas sûr que nous la reverrons à 380 ou 400 euros comme c’était le cas il y a quelques mois !”

Marie-Pierre Piquemal : “La clé, c’est l’anticipation”

Comme chez Ange Rama, les prix pèsent aussi, et doublement, chez les vignerons indépendants. Doublement parce qu’ils s’étalent des intrants nécessaires à la vigne aux cartons qui emballent les bouteilles produites. Et en plus du prix, il y a les questions de disponibilité. “Cette année, rien n’est fluide, c’est ce qui rend la gestion très compliquée” explique-t-elle avant de tenter de détailler l’ensemble des croche-pieds auxquelles elle est confrontée et alors que son domaine attaque sa deuxième année de conversion vers la bio. Si les augmentations d’intrants sont cohérentes avec les autres filières (+ 20 % sur le domaine – voir tableau), le bazar vient aussi des matières sèches dont les matières premières flambent également de leur côté (voir encadré). Et la difficulté principale pour Marie Pierre Piquemal, c’est de savoir comment répercuter ces hausses de prix sur chaque bouteille. “Chez moi, nous faisons les tarifs en tout début d’année et ils restent valables jusqu’au 31 janvier de l’année suivante. Depuis le début 2022 il a été très difficile d’obtenir les prix de mes fournisseurs et là, en début de printemps, vu le festival continu des augmentations, je me pose la question de faire une actualisation en milieu d’année parce que nous avons déjà absorbé une partie des augmentations de la fin 2011. Parce qu’en plus, les tarifs que nos fournisseurs nous ont transmis en début d’année ne sont pas maintenus” explique la vigneronne. Voilà le casse-tête.

Viticulture : la flambée des matières sèches :

En 15 mois, l’aluminium (capsule) est passé de 2 000 euros à 3 700 euros la tonne. En conséquence, les capsules ont augmenté + 6 % par rapport à l’année dernière, jusqu’à 20 % pour les capsules spécifiques. La pâte à papier (étiquettes) a pris 60 % et le prix du verre + 31 % depuis 2021.

Disponibilité

Pouvoir payer est une chose, être livrée en est une autre. “Pour ça, le principal levier, c’est l’anticipation, il fallait se couvrir le plus tôt possible” ajoute-t-elle. À condition de pouvoir le faire. “J’ai eu de la chance cette année parce que j’avais la trésorerie nécessaire pour cela et aussi de la place pour stocker les bouteilles, les engrais commandés en fin d’année pour une utilisation en février… Et j’ai déjà acheté les bouteilles dont j’aurai besoin à la fin de cette année. J’ai anticipé pour la confusion sexuelle. Autant que faire se peut, il faut aussi pouvoir jouer avec les réservations, les précommandes”. Autre levier, commander en plus grande quantité les étiquettes, les cartons, pour écraser les coûts. Mais là encore il faut la trésorerie. “Une des clés, c’est aussi d’avoir des relations de partenaires avec ses fournisseurs. C’est là que cela paye.”

Système D

Et puis il faut tenter de faire des économies. Dans ce domaine, une touche d’ingéniosité et de système D peut aussi aider : “Je fais hyper attention à un peu tout. On récupère et retaille des palettes parce que leur prix a aussi beaucoup augmenté. On essaye de rationaliser l’utilisation du matériel, le passage des outils dans les vignes. Pour les parcelles les plus éloignées pour lesquelles nous avons changé notre manière de faire, acheté de nouveaux tracteurs avec plus d’autonomie pour éviter les allers et retour avec le domaine et que le tracteur puisse rester sur place toute la journée. Nous avons aussi revu le planning des tournées pour ne pas dépenser plus que nécessaire.” Elle explique ensuite combien il a été compliqué de changer de tracteur avec les quatre critères qu’elle avait retenus… “Aucun des concessionnaires que nous avons consultés dans le département n’avait d’engin qui remplissait toutes nos conditions, alors nous avons dû composer avec nos propres exigences et acheter deux tracteurs chez deux concessionnaires différents parce qu’il n’y avait pas de disponibilité.” Elle souligne aussi la difficulté à composer les équipes qui travaillent avec elle. “Et ce n’est pas une question de salaire, mais bien de disponibilité de main-d’œuvre.”

Et au final, comment compenser ? Augmenter les prix au détail ? La marge n’est pas si importante, surtout pour ce que les sociologues du marché appellent un “produit non essentiel” et toutes les gammes ne vont pas supporter de la même manière quelques centimes ou un euro de plus. C’est particulièrement valable dans le cœur de gamme, les vins entre 6 et 10 euros, sensibles aux variations de prix à la hausse.

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