Bordeaux : geste écolo ou simple coup marketing ? [par Yann Kerveno]
Le maire écologiste de Bordeaux a fait la Une des journaux en plantant une micro-forêt dans le quartier de la gare. Lubie d’écolo ? Un jardinier paysagiste de Corbère les Cabanes nous donne son analyse.
C’était il y a quelques jours, les télés se sont empressées de venir tourner les images du maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, plantant le premier arbre d’une micro-forêt urbaine destinée à lutter contre le réchauffement climatique. À la suite, les papiers ont fleuri dans la presse comme le mimosa en février et les connaisseurs de la chose se sont un peu étranglés. L’idée de départ, c’est casser du bitume, supprimer des places de stationnement, pour y planter des arbres. À priori, rien de vraiment révolutionnaire, mais c’est dans l’air du temps. Et c’est là que le bât blesse. “Franchement, c’est surtout du marketing cette histoire” juge Yannick Lopez, jardinier paysagiste naturaliste de Corbère les Cabanes qui prône une approche écologique et durable du jardin. Ce qui le fait tiquer, c’est le prix de l’aménagement, 50 000 euros, pour 180 mètres carrés et 240 plants d’arbres et arbustes. Une densité telle qu’il y aura forcément de la casse, pas besoin d’être jardinier pour comprendre cela. Parmi les essences plantées, on trouve des arbres endémiques de la région, chênes, érables et arbres fruitiers. Et cette micro-forêt ne sera pas accessible aux piétons qui récupèreront juste une allée en bordure…
Au Japon peut-être, mais chez nous ?
Pour le jardinier de Corbère, la mairie de Bordeaux s’est laissée influencer par les vendeurs de plants. “Il est probable que ce concept de densification extrême ait été poussé par l’argent, parce que plus tu vends de plants, plus tu fais de la marge” réfléchit Yannick Lopez. “Mais surtout, ils surfent sur un truc à la mode, ce n’est pas de l’écologie, juste du marketing, parce que la vraie écologie, c’est bien moins séduisant.” Pour autant, les micro-forêts, telles que celles que le maire de Bordeaux promet de multiplier, ne sont pas une invention bordelaise, elles ont été mises sur pied par un Japonais, Akira Miyawaki, qui jouit aujourd’hui d’une popularité mondiale. Selon les sources il existerait plus de 3 000 micro-forêts dans le monde. Ce qui n’empêche pas Yannick Lopez d’être dubitatif devant la densité de semis. “Oui, cela fait peut-être sens au Japon, mais chez nous ?” se demande-t-il, préférant mettre en œuvre une végétation plus espacée, étagée correctement avec des grands arbres qui iront jusqu’à 25 mètres, puis des arbustes qui atteindront 10 mètres. “Dans ces projets de micro-forêt, il n’y a pas non plus de place laissée aux prairies, alors qu’on sait que, sous nos climats, elles sont souvent plus efficaces pour piéger le carbone que les arbres…”
100 litres par arbre
Sans même parler de l’interdiction d’y pénétrer alors “que les villes manquent tellement d’espaces de socialisation !” Alors oui, un arbre, plusieurs arbres dans une ville ou un village peuvent améliorer la situation. C’est une bonne idée. “Un arbre qui a suffisamment d’eau va transformer 50 % de l’énergie solaire qu’il reçoit en frigorie, c’est à dire qu’il va ôter de la chaleur à l’environnement. Par exemple, pour 800 watts reçus par mètre carré
il ne laissera que 400 watts réchauffer l’atmosphère” détaille Jean-François Berthoumieu, météorologue à Agen qui plaide depuis longtemps pour
que les villes s’habillent d’arbres afin de limiter les augmentations de températures estivales. “Le reste des 400 watts sera utilisé à la photosynthèse, au piégage du carbone…” Pour autant, et il insiste là dessus, il faut que l’arbre ait suffisamment d’eau à disposition, jusqu’à 100 litres par arbre pour qu’il puisse jouer son rôle. “Un arbre sec ne fait que de l’ombre et n’a pas d’impact sur la chaleur ambiante.” On ne sait pas si la micro-forêt bordelaise sera irriguée…