Banyuls : les chiffres ne font pas de concession [par Yann Kerveno]

Pris dans sa globalité, le vignoble de Banyuls n’est pas rentable. Mais il dispose d’atouts dont peu d’autres vignobles peuvent se targuer.

Étienne Laporte a conduit l’étude qui met à nu le cru Banyuls. Qu’en retient-il ? “Ce qui m’a frappé, c’est l’état de dégradation de l’outil viticole. Nous avons pu constater qu’il avait des manquants dans près de la moitié des parcelles. Ce mauvais état est en grande partie responsable des coûts de production très élevés que nous avons constatés, avec des rendements qui atteignent à peine la moitié du rendement maximum… On est à environ 10 000 euros par hectare sur le cru, à ce prix-là c’est très difficile d’être rentable, sauf à vendre cher. C’est un vignoble qui, pris dans sa globalité, n’est même pas à l’équilibre.” Le constat est sévère mais il est porté par des éléments objectifs. “Ce qui est important, c’est que nous avons pu mettre des chiffres sur ce que tout le monde pressentait” ajoute Étienne Laporte. “Nous avons travaillé sur des entreprises qui représentent 92 % des volumes de l’appellation mis en marché, c’est significatif.”

Sébastien Demoulin, responsable de l’agence CER France d’Argelès-sur-Mer, a conduit l’étude économique. Et comme Étienne Laporte, est allé de surprises en surprises. “Beaucoup d’opérateurs, des apporteurs de raisin, n’ont pas de comptabilité, donc aucune vision ou connaissance de leur coût de production” explique-t-il. En miroir, Étienne Laporte a lui été surpris par le “tissu humain” de l’appellation, les 1 000 coopérateurs, la modestie des surfaces, l’âge des vignerons…

Peu de ressources

Autre surprise pour Sébastien Demoulin, le prix de vente de bouteilles qui ne couvre pas, dans la plupart des cas, le coût de production et de commercialisation. “Les opérateurs vendent à bas prix parce qu’ils ont besoin de trésorerie pour payer la vendange” illustre-t-il avant d’embrayer sur le dernier élément à l’avoir frappé : la faiblesse de l’export dans les ventes. “La structure financière du cru ne permet pas, en outre, de dégager des ressources pour engager une restructuration. Globalement, il y a peu de personnes qui vivent bien de leur travail dans l’appellation, peu gagnent suffisamment d’argent pour réinvestir dans le vignoble” analyse encore Étienne Laporte. Autre point handicapant souligné, la difficulté à s’implanter que rencontrent les entreprises entre PLU super contraint et activités touristiques du bord de mer. Et puis, il y a le poids et les difficultés du GICB dans l’appellation.

Atouts

Pour autant, le consultant insiste sur les points positifs. “C’est le seul vignoble à produire un grand cru au Sud de la France et il est en position de monopole puisqu’on ne peut produire du Banyuls qu’à Banyuls. C’est une petite pépite assez bien valorisée, les prix de vente sont assez intéressants. Mais c’est aussi un terroir qui porte des vins blancs extraordinaires avec le grenache gris qui, en plus, s’accommode de la sécheresse et pourrait trouver sa place sur un marché très porteur en ce moment.” Et puis il y a ce chiffre : 61 % des volumes produits sont vendus sur le territoire de l’appellation, en particulier grâce à la fréquentation touristique… “Il n’y a aucune autre appellation qui fait cela et c’est important parce que la vente directe est celle qui permet de réaliser la meilleure marge” note-t-il. Quelles sont les pistes alors ? Il dégage trois priorités. La première c’est de retrouver la compétitivité du vignoble, revoir le parcellaire, éventuellement retoucher le décret et l’aire d’appellation, dresser une cartographie précise du vignoble pour savoir où il est possible et intéressant de faire des blancs, ou d’atteindre le rendement de l’appellation…

Faciliter l’installation

“Il y a d’un côté des terrains d’altitude qui ne sont pas plantés et, de l’autre, des parcelles qu’il faut peut-être abandonner…” Un travail de longue haleine qu’il juge impératif de commencer au plus vite. “Il faudrait aussi pouvoir trouver de nouveaux entrants, des entreprises déjà bien positionnées à l’export qui pourraient compléter leur gamme et développer l’exportation des vins du cru. Tout comme il faudrait pouvoir faciliter l’installation des vignerons, par un hameau viticole comme cela se fait ailleurs.” Le tourisme, et sa dynamisation, est aussi au programme des propositions émises. “Il faut plus de touristes sur la côte Vermeille et faire en sorte qu’ils soient plus nombreux à repartir avec une et mieux, deux bouteilles de vin ! Et parallèlement, il faudra aussi rapidement augmenter le prix des vins, sinon le déficit continuera de se creuser. Il faut créer les conditions d’une relance, sans quoi la surface du vignoble sera vite divisée par deux.”

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Les chiffres qui font mal

En épluchant les documents comptables des entreprises enquêtées, l’étude éclaire crûment les difficultés du vignoble. Elle précise que les prix de vente au caveau sont “trop bas pour dégager une marge permettant d’investir” ; que l’export et le CHR ne sont pas assez exploités ; que la grande distribution absorbe le plus souvent des volumes vendus à perte ; que la mode des rosés ne profite pas au cru et que les blancs ne sont pas assez valorisés. Quand on regarde les marges établies par l’étude, on se rend compte que seul le Banyuls grand cru, tel l’arbre qui cache la forêt (1 000 hl/an) dégage une marge intéressante et que la filière coopérative “mange la grenouille” sur chaque bouteille de la gamme. Et il faut garder à l’esprit que les chiffres pris en compte couvrent les années 2019 et 2020, soit avant les importantes hausses de coûts de production causées ces derniers mois par l’inflation…

Prises dans leur globalité, les caves particulières de l’appellation dégagent 76 centimes de marge par col quand les caves coopératives, plombées pour certaines par leur onéreux système de distribution (48 % du prix de revient total), perdent 67 centimes par col. Pour Romuald Peronne, il faudrait ainsi arriver à une moyenne minimum de 16 euros hors taxe au caveau pour entraîner l’ensemble de la gamme, contre les 12,64 € hors taxes calculés par l’étude. Étude qui conclut, pour l’ensemble du cru, à une perte annuelle de 340 000 euros provoquée par les ventes à perte du vrac et du rosé.

 

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