Avant de partir… (Triptyque, premier volet) Par Jean-Paul Pelras
Crise agricole : qui sont (vraiment) les responsables ?
Depuis des décennies, c’est toujours un peu la même rengaine. Quand les marchés s’effondrent, quand les compétitions déloyales se font de plus en plus prégnantes, quand le climat s’en mêle et, depuis peu, quand les écologistes empêchent l’agriculteur de travailler, le monde paysan ressort ses tracteurs, ses slogans, ses remorques chargées de souches, ses tonnes à lisier, ses productions invendues qui finissent, tôt ou tard, sur un rond-point en apostille des supermarchés, sous les fenêtres de quelques administrations ou sous celles du préfet de faction.
Les responsables professionnels vont chercher le mégaphone posé avec les banderoles, d’une manif à l’autre, sur l’armoire métallique dans le petit bureau du syndicat. Et, comme l’on attend beaucoup de monde ce jour-là, les représentants nationaux font le déplacement. À cause de la situation, à cause du “serment” et peut être aussi, un peu à cause de la photo.
Et puis, une fois les troupes dispersées, les émeutiers retardataires raisonnés ou arraisonnés, arrive l’heure des bilans. Cet instant fatidique où il faut envisager le renouvellement de l’exploit d’ici quelques jours, quelques semaines, quelques mois. Avec, et c’est le risque, une plus que probable érosion du nombre de participants.
En attendant, il faut prendre le téléphone, appeler Varennes ou Matignon, obtenir un rendez-vous avec ce ministre qui, sur le départ, transmettra à son successeur. Lequel devra s’informer de la situation, réclamer un audit, reprendre le dossier, en discuter avec son directeur de cabinet. Et l’enveloppe, si tant est qu’elle ne soit pas remontée car, critères restrictifs obligent, elle n’aura pas été consommée, fera long feu dans les vicissitudes d’un combat inachevé.
Et ce, d’un printemps à l’autre où, finalement, il fallut se résoudre à arracher la vigne, à vendre le troupeau, à abandonner ce champ et ce verger travaillés depuis tant de générations, qui ne rapporte plus, les chiffres impitoyables sont là pour en attester, si ce n’est misère et désillusions.
Alors, dans la vacuité des solitudes et dans celle du temps qui passe, celui qui a connu tout ça, qui sait forcément ce qu’induit le mécanisme des rapports de force entre l’État et le monde paysan, se pose une question : pourquoi ? Au bout du bout, quand toutes les raisons qui conduisent au résumé des résumés sont évoquées, il reste, à bien y regarder, un responsable, un seul : Le politique.
Car, si rien n’a été fait pour juguler la déprise, c’est parce que le législateur n’a pas su ou voulu intervenir afin de défendre (comme il s’y était engagé pendant les tournées électorales) un territoire, un patrimoine, un secteur d’activité. Qui, parmi ceux qui ont siégé dans les “Assemblées” ou au sein des collectivités territoriales, ont osé mettre en jeu leurs mandats et, de facto, leurs investitures pour faire entendre leurs voix, pour servir les intérêts de notre agriculture ? Qui parmi ceux-là sont allés chercher le mégaphone sur la petite armoire métallique ?
Ici, dans ce “pauvre Midi”
Car il ne suffit pas, une fois élu, de faire des selfies sur le perron du Sénat, de twitter sa “joie” sur celui du Palais Bourbon, pour représenter, moyennant à la louche 6 000 euros par mois hors indemnités de fonction, un pays, un département, une région.
En moins de 30 ans, ici, dans le Midi de la France, nous avons vu disparaître les deux tiers de notre agriculture. Pourquoi ? Car elle n’a pas été suffisamment défendue derrière l’hypocrisie des beaux discours où l’urbanisation et l’artificialisation des sols prévalent sur la sauvegarde des productions. Car elle n’a pas été suffisamment soutenue par les responsables syndicaux nationaux. Ni, allégeance oblige, par leurs serviteurs locaux, héritiers cooptés d’une “famille” qui doit désormais compter ses orphelins à l’aune d’un territoire où la friche et la baignoire abandonnée ont remplacé la vigne, le jardin, le verger.
Tout ça car il fallait exporter des céréales et fermer les yeux sur les importations de fruits et légumes, via le jeu d’accords bilatéraux. Mais aussi, avec la complaisance de certains responsables nationaux adeptes de la cogestion géopolitique, garantir une alimentation et maintenir in situ les populations gîtant, même avec un salaire asthénique, sur l’autre rive de la Méditerranée.
Enfin, il faut se demander pourquoi vignerons, arboriculteurs et maraichers ont dû se contenter du prix du marché alors que dans le secteur des “grandes productions”, partout en France, les aides PAC garantissent parfois 80 % du revenu et, de facto, le maintien, la transmission, le développement de l’activité. Partout où l’induction agricole permet aux commerçants et aux artisans de travailler, partout où les marchands de matériel continuent de vendre des tracteurs de 500 chevaux, alors qu’ici, dans ce pauvre Midi, ils ont dû se reconvertir dans le commerce du motoculteur, du taille haie, de la tondeuse à gazon et de la croquette pour chiots.
Finalement l’équation n’est pas très difficile à démêler. Il suffit, tout simplement, de savoir la poser. Et de vouloir la résoudre, au risque de déranger.