Confinement : le point de rupture !
Le plus difficile dans cette histoire, c’est que nous ne pouvons pas nous venger. Je veux dire par là que nous n’avons personne à insulter, personne à combattre, personne sur qui déverser notre courroux, notre éréthisme, notre fureur. Dans les nouveaux carnets du Major Thompson, l’excellent Pierre Daninos, après nous avoir rappelé la composition du corps humain, se demande comment l’on peut demander à 90 % d’eau d’acquitter un tiers provisionnel. Et bien c’est un peu pareil avec le coronavirus. La correspondance n’existe pas, car l’interlocuteur circule sans laisser d’adresse. Et nous en sommes réduits à négocier avec un ciel désespérément vide, plus souvent sans Dieu que sans nuages, à supporter des démêlés politiciens stériles et à écouter des scientifiques promouvoir ces confitures dont ils tartinent leurs incertitudes. De semaine en semaine, nous essayons d’atteindre l’autre extrémité du ban de brouillard sans pouvoir en sonder l’épaisseur. Nous le faisons en subissant pléthore d’avis qui ne vont pas sans évoquer ceux dispensés au temps de Molière, quand la surenchère des prescriptions portait sur la pose de sangsues, la trépanation, la purge, la scarification et autres saignées expérimentales. La considération se mesurant désormais davantage au nombre de passages télévisés qu’à l’aune des faveurs royales.
Au demeurant, la question est de savoir si nous allons nous en sortir parce que nous en savons davantage. Ou bien, tout simplement, car le virus aura décidé, d’ici quelques mois ou quelques années, de migrer vers d’autres arpents. Terrible interrogation que celle-ci car elle ne laisserait entrevoir qu’une seule issue : la sélection naturelle ! Éventualité (insupportable) qui obligerait l’humanité à s’adapter en acceptant, en quelque sorte, une victoire à la Pyrrhus.
La digue de l’obéissance
Alors, bien sûr, nous n’en sommes plus à l’époque de la peste et du choléra où l’on mourait sur la paille dans des hameaux abandonnés, où l’on crevait en quelques heures d’une diarrhée derrière les volets clos d’une ville désertée. Mais nous n’en demeurons pas moins mortels. Et “vivants” au point de ne plus supporter la contention, au point de savoir qu’elle ne pourra être acceptée indéfiniment. Car, une fois passé le 11 mai, où rien ne devrait véritablement changer sur le front des libertés individuelles, nous nous transporterons avec impatience au 2 juin, sans savoir si nous pourrons aller voir la tante de Montauban pour le 14 juillet, puis celle de Saint Chély d’Apcher au 15 août, puis l’oncle de Saint Malo à la Trinité, ou encore nos amis bordelais pour les fêtes de fin d’année. Au passage nous aurons liquidé l’économie du pays sans pour autant, si aucun vaccin n’est trouvé d’ici là, avoir jugulé la pandémie.
Donc, jusqu’où peut-on aller dans le confinement ? À n’en point douter, du moins il faut l’espérer, ceux qui dirigent la France se posent cette question au moins une fois par minute. Où est le curseur ? Où se situe le point de rupture qui fera céder la digue de l’obéissance ? Ce point existe quelque part au milieu de ce puzzle rouge et vert qui contraint nos mouvements de façon tout aussi inédite et ubuesque qu’inquiétante. L’exaspération des professionnels du tourisme et de la restauration, qui ont espéré avec Macron et désespéré avec Philippe, en dit long sur ce point de rupture. Ou comment ceux qui risquent de tout perdre en quelques semaines ne supportent plus les injonctions de ceux qui n’ont pas su protéger correctement la population depuis le début de la quarantaine. Avec, si les échéances devaient être reportées siné dié au nom du principe de précaution, une défiance à l’égard du pouvoir qui pourrait prendre, avant l’été, la forme d’une toute autre contagion.