Activisme écologique : la frustration des enfants gâtés [Jean-Paul Pelras]
L’activisme écologiste qui vient encore de frapper avec le déversement d’un train de céréales dans le Morbihan est révélateur d’un clivage qui puise ses racines dans la frustration. Un travail de sape que les syndicats agricoles, à l’exception de la Confédération paysanne, qualifient de terrorisme, avec le saccage des retenues d’eau dans le Lot et Garonne, les destructions de cultures dont sont coutumiers les faucheurs volontaires ou, plus globalement, la stigmatisation que les environnementalistes alimentent à l’égard du monde agricole.
Une stigmatisation qui fait son chemin et récolte une adhésion de plus en plus significative auprès de la population. Cette population à qui l’on montre des superficies cultivées par des “rentiers”, des fermes immenses qu’ils ne pourront jamais se payer, des pulvérisateurs qui empoisonnent leurs enfants, des tracteurs qui n’en finissent plus, à perte de vue, d’épandre des engrais ou de labourer leurs champs. Et ce, alors que la plupart de ceux qui les observent doivent se contenter d’une tondeuse à gazon et d’un carré de jardin, le dimanche matin, dans leurs lotissements.
“La jalousie des petites différences” développée par Freud n’est pas étrangère à ces rivalités qui opposent ceux qui possèdent, qui ont investi ou qui ont hérité, à ceux qui doivent trimer toute une vie pour rembourser quelques mètres carrés après avoir pu enfin accéder à la propriété. La notion de capital est toujours sous-jacente et bien sûr souvent fantasmée depuis 1968 et le retour à la terre de ceux qui, bien souvent, n’y avaient jamais mis les pieds. Il fallait alors inventer une autre agriculture, revenir aux fondamentaux et rejeter en bloc le productivisme, le gaspillage, la pollution, l’usufruit, les limites, le servage…
La propriété, voilà le problème
Bové, qui délaissa la charrue pour la politique et troqua son pécule de berger contre celui de député européen, incarna, pipe au bec sur moustache de sapeur, l’image de ce paysan insoumis, pourfendeur d’une certaine malbouffe au pays de la gastronomie, intercesseur de ces idées que la société était prête à écouter pourvu qu’elle soit confortée, depuis son canapé, dans sa position d’insurgée. L’agriculteur plus que le paysan, car ce mot fait davantage rêver les gens, est donc devenu progressivement persona non grata là où, au lendemain de la guerre, chacun se pressait pour pouvoir acheter son sac de blé, son morceau de jambon ou sa caisse de pommes de terre.
Pire, il est devenu celui qui gêne sur la route, qui dérange quand il démarre le tracteur un peu trop tôt, qui gaspille l’eau, qui attire les mouches avec son troupeau. Il dérange moins, en revanche, quand il s’agit d’aller se servir à la nuit tombée dans le verger ou quand il faut aller faire pisser le chien dans le pré d’à côté. Ce qui ne pose d’ailleurs plus aucun problème là où les friches ont fini par remplacer les terres autrefois cultivées, là où l’on vient jeter le bidet cassé et la vieille machine à laver, les capotes et les seringues usagées. Combien de fois entendons-nous dans nos campagnes : “Ils font chier ces paysans à mettre des barbelés partout, à tout clôturer, à creuser des fossés pour nous empêcher de traverser leurs propriétés…”
La propriété, voilà le problème. Surtout quand il s’agit de celle des autres et que, progressivement, ceux qui ont idéalisé la campagne tentent de se l’accaparer. Soit en devenant majoritaire au sein des conseils municipaux, soit en monopolisant le débat par le biais des associations. Les saccages, les intimidations exercées par les mouvements activistes sont, à ce titre, indirectement cautionnés par les pouvoirs publics qui ont démissionné, souvent pour des raisons électoralistes, à l’heure où le vote paysan représente moins d’un électeur sur cent.
L’indignation suscitée par le déversement de ce train de céréales sera ainsi très vite relayée par le prochain reportage télévisé à charge contre les agriculteurs. Dans le Morbihan, à Caussade, à Sivens comme ailleurs, les enfants gâtés qui cassent pour des idées, sans se soucier du jour où ils viendront à manquer, ont avec eux, qu’on le veuille ou non, toutes celles et ceux qui, en ouvrant leurs fenêtres, ne supportent plus, depuis les villes ou dans la ruralité, ni la notion de rentabilité, ni celle de propriété.