2023, année des vins doux naturels ? [par Yann Kerveno]

Paradoxalement, l’année 2023 sera peut-être en partie sauvée par les muscats. Au moins pour une partie de la trésorerie des exploitations…

“Il faut attendre les prochains chiffres, mais probablement que cette année l’érosion des muscats va s’arrêter” espère Denis Surjus, président de l’organisme (ODG) de gestion des muscats. “En tout cas, on devrait être assez éloigné de la perte des vins tranquilles cette année dont la situation se dégrade encore.” Pour expliquer ce coup de frein salutaire, Denis Surjus avance deux raisons majeures. La première, c’est que les muscats sont vendus à 80 % par la grande distribution, au rayon des apéritifs “et que nous avons un très bon rapport qualité prix.” Ce qui, dans le contexte économique de recul de pouvoir d’achat et de “trading down” (le repli des consommateurs sur les qualités inférieures pour faire des économies, voir sur les marques distributeurs) peut en effet s’expliquer.

Les chiffres

Aujourd’hui, selon les chiffres de François Capdellayre, le marché des Rivesaltes se situe autour de 35 000 hl quand la production tourne autour de 33 000. Pour les muscats, les chiffres sont fournis par Denis Surjus, il s’est produit 54 000 hectos l’an passé à 15 hl/ha dans un marché de près de 60 000 hl, dominé à 81 % par le négoce. En 8 ans, le plan de reconversion a provoqué l’arrachage de 893 hectares dont un tiers, 281 hectares, a déjà été replanté et 154 dont les droits ont été perdus. Il en reste 458 à reconvertir.

La deuxième raison tient, selon lui, pour le coup, à la production. “Ces dernières années, nous avons serré la vis de la production en limitant les rendements. Depuis trois ans, nous produisons moins que ce que nous consommons, ce qui a conduit à faire augmenter très sensiblement la proportion de millésimes plus jeunes dans les assemblages, cela a fait progresser la qualité des muscats mis en marché. Aujourd’hui, nous avons progressé en qualité, les stocks se sont apurés, il n’y a pas de raison de ne pas être ferme sur les prix” ajoute-t-il.

Souplesse

“C’est un constat partagé, le marché des VDN est un marché de plus en plus stable dans le temps” témoigne pour sa part François Capdellayre, président de l’ODG Muscat de Rivesaltes et de la cave de Baixas. “Il est plus stable que celui des vins secs, nous ne subissons pas la même chute libre que le marché des rouges actuellement, nos consommateurs ont leurs habitudes. Même si, pour les Rivesaltes, nous subissons la même tendance baissière que les autres VDN du département. Ce qui change, c’est que nous n’avons plus, comme par le passé, des contrats à l’année, aujourd’hui, le négoce fait fonctionner des lignes de mise en bouteille au coup par coup, mais nous continuons de savoir à peu près où nous allons en termes de prix. La réforme du cahier des charges des Rivesaltes, qui a réduit la durée minimum d’élevage de 30 à 24 mois, a donné de la souplesse au négoce, un peu plus de volumes disponibles, plus tôt et des produits plus jeunes. Le négoce a tous les ingrédients pour conserver ses marchés.”

La faute à la bouteille !

Un des creux enregistrés par la commercialisation des Rivesaltes est lié à un problème de… bouteille. “Les verriers n’ont pas été en mesure de produire la bouteille d’un litre classique dans laquelle est commercialisée une bonne partie des volumes du négoce et il a fallu se rabattre sur la bouteille de 75 cl. Mais s’il manque un quart de la bouteille, le consommateur ne va pas en acheter deux pour compenser” démontre François Capdellayre. Cela explique en partie le trou d’air des premiers mois de cette année avec un recul des ventes de 25 %, soit la quantité manquante dans le contenant habituel !

Export

Les deux vignerons regardent toutefois ailleurs pour imaginer de nouveaux débouchés. “Le muscat, c’est 80 % de ventes en grande distribution, mais aussi 99 % de ventes en France. Il y a certainement des choses à faire à l’export, mais nous sommes un peu contraints par notre cahier des charges qui oblige à embouteiller dans la zone de production. Cela nous écarte des marchés à l’étranger, où les distributeurs ont leurs propres lignes d’embouteillage” poursuit Denis Surjus.
François Capdellayre est sur la même longueur d’onde : “je crois beaucoup au développement de l’export pour les vins doux naturels, pas pour y écouler de gros volumes, mais comme l’explique Denis, pour servir de porte d’entrée, de produits d’appel pour nos autres vins… C’est ce que nous voyons en Corée du Sud, par exemple avec le marché asiatique le plus « occidentalisé » et qui valorise très bien nos produits. Pour cela, je plaide pour plus de « perméabilité » dans les budgets du Conseil interprofessionnel et que l’on y consacre plus de budget aux vins doux naturels qui sont culturels et historiques du Roussillon…”

Passer le cap

Denis Surjus opine : “la grande différence, c’est qu’avec les vins secs, nous sommes en concurrence avec le monde entier, alors que pour les muscats, nous sommes les seuls à en produire autant, 8 millions de cols par an ce n’est pas négligeable et les muscats, même s’ils ne sont pas les plus rémunérateurs, peuvent aussi servir de produit d’appel pour placer les vins secs derrière sur de nouveaux marchés. Il faudrait voir aussi du côté des cocktails, que les négociants s’en emparent, et des muscats de Noël…”

Si les prix ont toute raison de se maintenir, François Capdellayre y voit aussi une opportunité non négligeable cette année si particulière : “en période de creux, comme celle que nous connaissons aujourd’hui, les muscats et les Rivesaltes sont une opportunité pour la trésorerie des vignerons, parce que le chiffre d’affaires à l’hectare est meilleur à mesure que l’on augmente les rendements.” De quoi aider à passer le cap dans les exploitations ?

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