18 000 plaintes d’enquiquineurs (Par Liliane Doger-Ledieu)
Je reviens sur ces vertueux citadins qui depuis bientôt un an se transportent à la campagne dès que se profile un confinement ou un couvre-feu. Ils filent dare-dare sans se poser la question de l’éventuel acheminement du virus ou de sa dangerosité hypothétique ou réelle. Mais là n’est pas le propos…
J’y reviens parce que la loi “Patrimoine sensoriel des campagnes”, adoptée au début de l’année dernière à l’Assemblée nationale, vient d’être agréée, sans ergoter, ce jeudi 21 janvier par le sénat à l’unanimité. Les bonnes nouvelles sont rares par les temps qui courent, ébaudissons-nous !
“C’est la première fois qu’une loi est définie par la ruralité !” se réjouit le député Lozérien Pierre Morel-à-l’Huissier, auteur de la proposition de loi visant à “définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises”.
Désormais, les néoruraux ou ruraux de passage devront réfléchir à deux fois avant de se ruer vers des lieux que pour la plupart ils ne méritent pas. “On n’avait pas pensé subir autant de nuisances. Entre le bruit et les odeurs, c’est insupportable !”
Entre l’affaire du coq Maurice sur l’île d’Oléron et les grenouilles de Grignols en Dordogne, pas moins de 18 000 plaintes sont allées jusqu’en cour d’appel ou de cassation. Il s’est même trouvé des abrutis demandant au maire de Beausset, dans le Var, s’ils pouvaient “passer de l’insecticide pour faire cesser le chant des cigales” !
Protéger une identité régionale
Dorénavant les coups de cœur immobiliers ou autres “esquives sanitaires” ne devront pas être conditionnés juste par le nombre de barres sur le téléphone. Il sera judicieux de se renseigner, si on a le sommeil léger et la narine délicate, sur la présence plus que probable d’un voisin agriculteur. Car le coq, tout naturellement, chante, la poule caquette, le poussin pépie, la vache meugle, le cheval hennit, la chèvre bêle, le canard cancane… Et le gardien aboie. Et par-dessus le marché (qui commence à six heures du matin soit dit en passant), la belle cloche de l’église égrène le temps de jour comme de nuit.
Je repense à ces panneaux qui se sont multipliés à l’entrée des villages évoquant clairement animaux et cloches, avertissement complété par “Attention vous pénétrez dans un village français !”
Quelques maires intuitifs ou échaudés avaient devancé le légiférant, histoire de décourager les enquiquineurs. Belle initiative !
Alors oui, nous nous réjouissons de cette nouvelle loi dont l’esprit est de protéger une identité régionale. Reste maintenant à définir l’inventaire de ce “patrimoine immatériel sensoriel”. Les directions générales du ministère de la Culture en ont la charge. Se posera sans doute la question dans un avenir proche des installations agricoles importantes. Dans quelles mesures de telles activités ne dépasseront pas le cadre normal de voisinage.