Viticulture : la facture énergétique 2022 risque d’être salée ! [par Thierry Masdéu]

La crise énergétique européenne, accentuée par l’envolée des prix de gros, et la crainte du manque d’approvisionnement électrique issu du parc nucléaire français (voir encadré), bouscule tous les prévisionnels des entreprises qui essayent de repartir à la chasse au gaspi. Des économies d’échelles adaptables à certaines activités et selon les saisons. Ce qui n’est pas le cas des caves en cette période de vendanges… 

Entre l’été et sa chaleur qui s’éternise, la récolte qui n’est pas encore totalement rentrée et les hausses énergétiques qui s’annoncent, l’inquiétude est palpable chez bon nombre de dirigeants et coopérateurs de caves. Difficile, en cette période, d’appliquer les économies d’électricité que préconise l’exécutif, alors que les températures des grappes cueillies sont aussi élevées la nuit que le jour et demandent beaucoup plus de réfrigération. “On essaye d’être le moins énergivore possible, mais la période des vendanges est la moins propice pour faire des économies ! Aujourd’hui, on cueille 80 % de la récolte entre deux ou trois heures et dix du matin et, malgré ces horaires, on rentre du raisin à 28º, alors qu’il y a une dizaine d’années cette température avoisinait les 17º à 18º !” témoigne de son expertise André Serret, directeur général de la cave Dom Brial de Baixas, qui regroupe 220 coopérateurs. “D’ailleurs, c’est souvent le millésime qui bat la mesure !” tient à souligner, à juste titre, ce dirigeant qui est également président des œnologues de France pour la région Languedoc-Roussillon. “Et cette année, avec des maturités qui explosent et des phénomènes de concentration, on est bien obligé de rétablir les équilibres, comme par exemple le manque d’acidité !”

André Serret, directeur général de la cave Dom Brial de Baixas.

Efforts indispensables pour garantir la qualité œnologique des productions qui font la renommée de la cave et qui vont forcément, en plus des augmentations annoncées pour 2022 par le fournisseur d’énergie, impacter la facture électrique. “Nous avons déjà été prévenus que cette année, en raison de notre type de contrat triennal, qui n’est pas à coût fixe, nous allons subir une révision de l’écrêtement de l’ARENH* qui est passé de 74 % à 37,52 %. Avec cette modulation amoindrie du bouclier tarifaire, même si on devrait bénéficier d’un mécanisme de compensation sur les taxes, on sait d’ores et déjà que l’on doit s’attendre à une augmentation proche des 50 %, ce qui devrait représenter pour 2022 une facture de plus de 140 000 € !”

Incidence majeure

Prisonnier de cet engagement jusqu’en juillet 2023, ce dirigeant espère que les prix qui s’affichent actuellement sur les prévisionnels du marché du MWh (Baseload 2023 à 1 130 € le MWh, Peakload 2023 à 1 580 € le MWh) redeviennent raisonnables au moment de son renouvèlement de contrat. Un souhait qui éviterait une incidence majeure capable d’affecter considérablement les prix de vente du vin sur un marché en souffrance, d’autant que toutes les autres augmentations continuelles des matières sèches, bouteilles, capsules, étiquettes, emballages, etc., ne pourront plus être absorbables en rognant sur les marges. “Sur des bouteilles de verre classique, on a déjà pris 2 augmentations de 15 % en février et en avril, ce qui fait 30 %, mais le plus grave c’est que l’on doit aussi faire face à des ruptures de chaîne et d’approvisionnements ! Cette année, on a manqué de verre blanc, sans parler de bouteilles spéciales comme la Porto blanche pour notre « Grande Réserve » où le fournisseur impose un prix et des quantités démesurées !” Une situation qui va obliger la cave à changer de contenants pour certaines cuvées, comme de méthodologie de conditionnement, sans capsule, tant les délais d’approvisionnement accusent des retards de 6 à 12 mois.

Dans ce contexte européen, où l’imbrication du prix du gaz, attisé et spéculé par le conflit Russo-Ukrainien, dicte le marché de l’électricité et menace les économies des ménages et des entreprises, vendredi dernier les ministres des 27 pays européens ont présenté à la table de la Commission européenne des mesures d’urgence pour compenser les hausses énergétiques. Un texte qui, avant d’être adopté, doit faire consensus parmi les pays membres sur les suggestions avancées comme : le plafonnement du prix des importations du gaz payé à la Russie, la confiscation des supers profits des énergies renouvelables et du nucléaire pour ensuite les redistribuer. Est évoquée également la mise en place d’une contribution temporaire de solidarité à la charge des compagnies gazières et pétrolières qui serait ensuite répartie entre les ménages et les entreprises les plus vulnérables, ou bien encore, la réduction de la consommation de l’électricité aux heures de pointe. Reste à savoir si cette dernière mesure proposée ferait l’objet d’une obligation ou de volontariat ? À suivre…

* ARENH : Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (loi NOME)

Contact : Cave Dom Brial, André Serret – 04 68 64 79 48 – https://www.dom-brial.com/

Les 56 réacteurs nucléaires que compte la France seront-ils en service cet hiver ?

Le 29 août dernier, sur l’antenne de nos confrères de France Info, Jean-Marc Jancovici, président du groupe de réflexion “The Shift Project”, une association de loi 1901 qui milite en faveur d’une économie libérée de sa dépendance aux énergies fossiles, déclarait : “Le risque nucléaire est plus faible que le risque d’un défaut massif d’approvisionnement électrique. Si vous avez un défaut massif d’approvisionnement électrique, vous avez des systèmes de communications, de transports, de soins, de chauffages, etc., qui ne fonctionnent plus, et cela fait beaucoup plus de morts que vous pourriez avoir à cause d’un accident dans le réacteur !” Un arbitrage entre bénéfices et risques que semble avoir tranché l’exécutif en mettant sous pression le 1er septembre dernier, par la voix de la Première ministre, Élisabeth Borne, le prestataire EDF qui s’est engagé à redémarrer, d’ici Noël, 26 des 31 réacteurs qui sont à l’arrêt pour raisons de maintenance et les 5 autres dès la mi-février.

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