Une soir d’été, Sète et le “poète maudit”
Avant de parler musique, nous allons parler du cadre : Le Théâtre de la Mer est un théâtre à ciel ouvert situé dans la ville de Sète. Il s’agit d’un ancien fort, le fort Saint-Pierre. Construit en 1746, il fonctionnait en duo avec le Fort Richelieu pour défendre le port. Fortement endommagé en 1944 par les Allemands, il fut réhabilité en théâtre en 1959. Appartenant aux Hospices depuis 1914, le propriétaire légal est encore l’hôpital de Sète qui le loue pour un euro symbolique à la ville. Ce théâtre est situé de façon que les spectateurs puissent admirer l’artiste et la mer dans un même temps. Un soir, entre juin et juillet, la chaleur adoucie par la brise marine, un couple d’amis chers pour partager ce moment idyllique et un concert, celui donné par Hubert Félix Thiéfaine.
Quel est donc ce personnage atypique ? Quel est son parcours ?
Issu d’une famille catholique de six enfants, HFT, né en 1948 à Dôle, fera une scolarité tant dans le public que dans le privé, sera pensionnaire et étudiera ensuite le droit et la psychologie. Il est tenté par deux vocations, la prêtrise et la chanson, mais c’est cette dernière qui l’emportera et il partira à Paris en 1971. Il écrit, compose ses chansons et les interprète dans de petits cabarets. Mais sa rencontre avec Tony Carbonare, musicien “Jouïste de basse impénitent, psaltérionneur d’un goût certain, synthétiste qui sait où il va, mandolineur discret” en 1978 va lui permettre de sortir son premier album ! C’est en 1981 qu’il fera salle comble à l’Olympia avec son quatrième album “Dernières balises (avant mutation)”. Un changement de style vient de s’opérer et, en 1982, il connaîtra un grand succès avec “Lorelei Sebasto Cha”, disque d’or, et fera des tournées dans toute la France. Sa notoriété n’est plus à faire, sa particularité non plus. HFT poursuivra sa carrière jusqu’en 2008, année où il lui a fallu faire un break jusqu’en 2011. Mais sa passion pour l’écriture, la composition le remettra vite en selle…
D’ailleurs, nous avons pu le voir, l’écouter, au Théâtre de la Mer en compagnie de son deuxième fils Lucas !
On sent que la tournée est rodée, batteur, deux claviers, bassiste, guitare rythmique, guitare lead et HFT. Costume sombre, jeu de scène réduit, lui et son orchestre nous emportent dans son univers pittoresque, noir et mélancolique. Il faut dire que bien au-delà d’une chanson anecdotique parlant d’une fille, que tout le monde a chanté après le troisième anis, HFT pose un regard réaliste, donc cruel, sur nos vies et s’interroge sur le sens de l’existence à la façon des grands poètes romantiques, mais plutôt du côté sombre, avec une fascination pour la mélancolie, la folie, le crime, les atmosphères macabres et angoissantes, marquées par la présence de fantômes, de créatures surnaturelles. Il flirte avec Baudelaire, Nerval, Stendal, Gauthier, Vigny ou Byron, son univers est noir et morbide, portant en lui une philosophie du chaos lyrique. La caricature se trouve surement dans “Scandale Mélancolique” (2005) avec comme refrain :
“De la folie des ombres
à l’alchimie des heures
on se perd dans le nombre
infini des rumeurs
c’est juste une pénombre
au fond de la douleur
c’est juste un coin trop sombre
au bout d’un autre ailleurs.”
Il nous a emmenés dans son répertoire, “Alligators 427”, 1979, “La vierge au dodge 51”, 1979, “Groupie 89 turbo 6”, 1980, “113e cigarette sans dormir”, 1981, “Cabaret Sainte-Lilith”, 1981, “Narcisse”, 1981, “Animal en quarantaine”, 1993, tout cela entrecoupé par des extraits de son dernier album “Géographie du vide”, 2021, notamment “Du soleil dans ma rue”, “Page noire”, “La fin du roman”, “Combien de jours encore”… Et pour conclure, “La fille du coupeur de joints”, 1978. L’ensemble rythmé par des solos guitare puissants de Lucas.
Et puis… Fin, pas de rappel, l’univers clos sur lui-même, peu de regret tellement le show fut puissant.
Dans un répertoire très large où sont revisitées la plupart de ses chansons-balises, éternel récidiviste d’une humilité et d’une discrétion rare, Thiéfaine n’a pas épuisé le lexique qui lui confère cette aura de poète maudit.