Réinventer les coopératives agricoles ? [par Yann Kerveno]

Comme l’ensemble du monde agricole, les coopératives sont aussi à un tournant. Tournant qu’il leur faudra négocier avec délicatesse.

Faut-il grandir encore ? Se spécialiser ? Comment, dans ce cas, conserver le lien avec ses adhérents quand on investit dans l’aval, des filiales et qu’au final on pèse lourd, plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires dans un marché mondialisé ? Président de la Coopération agricole, Dominique Chargé résumait l’enjeu l’année dernière dans une interview aux Échos : “(Les coopératives) vont devoir radicalement changer de logique et sortir de la recherche de productivité à tout prix pour capter les aides européennes. Le défi, demain, est de trouver la valeur sur les marchés. Demain, un agriculteur ne s’installera plus dans telle ou telle production, mais décidera avec la coopérative de son choix sur la base d’un contrat sécurisant. Parallèlement, il faut développer un nouveau modèle d’exploitation beaucoup plus intégré, financé par des investisseurs non agricoles, comme la ferme des 1 000 vaches. Il y aura des exploitations d’un troisième type, petites, qui regroupent jusqu’à 7 exploitants avec des productions très diverses commercialisées sur les marchés locaux…”

On est très cocooné

Ancien président d’Univitis, aux confins de la Gironde et de la Dordogne, Pascal Nerbesson livre un constat sévère : “Dans les années quatre-vingt puis quatre-vingt-dix, on a commencé de mettre les coopératives au service des viticulteurs en plus de concentrer la vinification et la commercialisation. C’est à cette période que s’est développé l’appui technique et, à mon sens, il est allé trop loin. On a fini par développer une forme d’assistanat des vignerons. Les techniciens, par leurs interventions sur les exploitations, ont en quelque sorte coupé le lien entre la coopérative et le vigneron. Quand il y a un problème aujourd’hui, le vigneron n’appelle plus ni ses voisins ni le président de la coop mais le technicien. On est très cocooné.”

Maillage et disponibilité

Alors comment faire en particulier pour conserver ce lien avec les adhérents ? Le chercheur Bertrand Valiorgue estime que les agriculteurs ont perdu le pouvoir dans certaines coopératives, “parce-qu’ils ont baissé les bras face aux managers”. Dans l’Est de la France, le président de Vivesci, Christoph Büren, appuie sur l’importance du maillage territorial, les sections. “Ce n’est pas forcément aisé pour un agriculteur de se trouver face des managers sortis de HEC ou Centrale, qui ont fait de grandes études, ont la maîtrise de la langue et s’expriment bien. Mais je suis persuadé que l’agriculteur à toutes les cartes en main pour parler d’égal à égal, parce qu’il a le bon sens pour lui. Il est entrepreneur sur sa ferme.” Il appuie aussi sur le besoin de formation et l’apprentissage obligatoire de la gestion des arbitrages entre le long et le court terme, l’intérêt de la coop et celui de son exploitation. Il précise aussi que les administrateurs doivent impérativement conserver une certaine distance avec les managers des coopératives.

Ne jamais se décourager

Président de la Cavac en Vendée, Jérôme Calleau insiste, “c’est aussi à nous d’éviter ce que j’appelle « l’effet instit » avec les adhérents et la gestion verticale et uniquement descendante”. Et rester accessible à tous. “Dans les réunions que nous tenons avec les délégués de section, nous avons mis en place un tour de table préliminaire à l’étude de l’ordre du jour. Souvent nous passons les trois quarts où les quatre cinquièmes de la réunion là-dessus. C’est le moment où les paroles se libèrent, où sont partagées les interrogations, les inquiétudes. C’est là qu’il faut soulever les questions qui posent problème, même si c’est difficile… Ce sont des moments importants lors desquels il faut se rendre accessible, il faut accepter d’y passer du temps et ne jamais se décourager.”

Lire l’intégralité de l’enquête sur https://revue-sesame-inrae.fr/cooperatives-raisons-et-sentiments/

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