“Rebâtir une indépendance agricole française” : géopolitique de l’impossible ! (Par J-Paul Pelras)
“Rebâtir une indépendance agricole”, second chantier après celui concernant la reconstruction de Notre-Dame lancé en moins d’un an par Emmanuel Macron devant des millions de téléspectateurs. Sauf que, si le premier d’entre nous s’est donné 5 ans pour restaurer l’édifice religieux, les matériaux et les moyens risquent de manquer pour retaper un secteur d’activité usé par des décennies de compétitions déloyales et dévasté par le discrédit qu’entretiennent, entre autres, les environnementalistes. Comment expliquer, en effet, aux maraîchers et aux arboriculteurs du Midi de la France qu’ils doivent rebâtir quelque chose alors qu’ils ont tout perdu, alors que leurs structures ont été démontées, alors que les biens ont été saisis, alors que le mitage des territoires et l’artificialisation des terres ont usurpé le potentiel agronomique. Prenons, pour illustrer ce propos, l’exemple des Pyrénées-Orientales, terres de primeurs autrefois baptisées “jardins de l’Europe”, où les friches courent désormais sur plus de 80 000 hectares. Le monde paysan y est réduit à sa portion congrue. L’arboriculture est passée de 12 500 hectares en 1988 à moins de 4 000 en 2019. le maraîchage, pour la même période, de 8 300 ha à moins de 2 000. Une érosion imputable principalement à la concurrence espagnole qui bénéficie de coûts de main-d’œuvre dérisoirement bas. Le SMIC mensuel brut français est de 1 539 euros contre 1 108 euros de l’autre côté des Pyrénées. Pour illustrer les effets de cette amplitude, signalons que la production française de pêches-nectarines a dégringolé de 324 000 tonnes en 2010 à 210 000 tonnes en 2019, alors que pour la même période la production espagnole passait de 681 000 tonnes à 1 600 000 tonnes.
Une concurrence impitoyable, stimulée par les distorsions monétaires au début des années 90, puis par les distorsions sociales, fiscales et même environnementales plus que jamais d’actualité ces temps-ci.
Il sera donc difficile pour les paysans roussillonnais, et plus globalement pour la filière fruitière et légumière française, de “rebâtir” une agriculture dans un contexte où, pour inverser la tendance, il faudrait, de surcroît, bousculer bon nombre d’accords géopolitiques, dont certains remontent aux fondamentaux du Traité de Rome, puis à l’accession de l’Espagne et du Portugal dans la communauté européenne.
Pour illustrer cette question, prenons l’exemple du Marché international Saint-Charles basé à Perpignan qui pèse presque 1,8 millions de tonnes en fruits et légumes contre 1,2 millions pour Rungis. Comment expliquer aux opérateurs de cette plateforme qu’il va falloir désormais privilégier la production française alors que leur activité est tributaire de l’import ? Idem pour les distributeurs qui jugulent l’inflation en favorisant, quand ils ne sont plus sous le projecteur des crises sanitaires et quand ils sont établis hors zone de production, la tomate d’Agadir et la pêche de Séville.
Accords bilatéraux, pressions environnementales…
Et que dire de ces accords beaucoup moins médiatisés que ceux concernant le Ceta ou le Mercosur qui hantent, depuis des années, la galaxie maraîchère et arboricole hexagonale avec celui, très contesté notamment par le Front Polisario, qui lie le Maroc à la communauté européenne. Accord qui bénéficie d’amendements réguliers, comme celui signé en 2017 où l’Union européenne s’est engagée à prendre les mesures nécessaires afin de sécuriser l’entente qui la lie au Royaume chérifien depuis 5 ans. Un accord qui fixait le contingent annuel de tomates marocaines importées en Europe à 240 000 tonnes, sachant que l’UE absorbe 85 % des exportations marocaines de tomates et que le SMIG agricole mensuel dans ce pays est de 172 euros… Sachant, surtout, que les productions fruitières et légumières, fortes pourvoyeuses en main-d’œuvre, maintenues sur l’autre rive de la Méditerranée, permettent de fixer les populations in situ et de limiter les flux migratoires.
Autre problème et alors que le secteur agroalimentaire français pourrait devenir déficitaire d’ici 2023, celui qui concerne la pression environnementale. Une pression qui, comme nous le voyons ces jours-ci avec les actions intentées en justice contre les épandages par certaines associations ou les tribunes rédigées par les ONG, va contraindre et impacter les productions conventionnelles. Comment rebâtir si les outils permettant de protéger ou d’amender les cultures ne peuvent plus être utilisés ? Comment rebâtir si la compétitivité de l’agriculture française est mise à mal par des idéaux contraires au développement des productions et à la souveraineté alimentaire de 67 millions d’individus ? Comment rebâtir avec un grand débat mis en sommeil en ces temps de confinement qui disait “Quelle agriculture pour 2021-2027 ? Qu’est-ce que je mange ? Quels modèles agricoles pour la société française ? Quelle transition agro-écologique pour l’agriculture ? Comment cohabiter dans les campagnes ? Qui décide de la politique agricole ?” Oui, comment rebâtir à partir de l’été quand, seulement trois mois auparavant, l’architecte, pour l’offrir à ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un champ, prenait l’outil des mains du paysan ?
Jean-Paul Pelras