Prise de “Têt” pour la nappe phréatique [par Yann Kerveno]

Le fleuve Têt peut donner la migraine tant il est au centre d’enjeux importants. Entre procès et préoccupation environnementale, l’Agri fait le point.

Il y a eu cette énième interpellation de l’hydrogéologue Henri Salvayre il y a quelques semaines. “Attention, la Têt creuse son lit et va bientôt crever le toit de la nappe phréatique du pliocène” lance-t-il. Une extrémité qu’il serait bon d’éviter si l’on ne veut pas voir cette nappe, qui assure une partie de l’approvisionnement en eau potable du département, se vider dans le lit du fleuve… Pour Henri Salvayre, le problème remonte aux travaux de la construction de la 116. “On savait qu’on allait avoir une action délétère en extrayant des matériaux du lit du fleuve pour construire la route, mais cela n’a pas été entendu. On a créé les conditions d’un désastre, alors qu’on le savait” regrette-t-il avant de donner de plus amples explications. Les travaux ont fait descendre le lit du fleuve qui s’est trouvé coupé de la nappe de surface et le fleuve a commencé à creuser son lit, jusqu’à attaquer en certains endroits, Néfiach, Millas, Le Soler, la couche de sables argileux qui sert de toit à la nappe… Les conséquences déjà sont parfaitement visibles. “Si on ne fait rien, le fleuve va crever le toit de la nappe phréatique et elle ne sera plus sous pression” ajoute le spécialiste. Pour, au final, tarir les sources puisqu’elle n’est pas rechargée par les précipitations, c’est une nappe d’eau fossile, l’eau a entre 6 000 et 12 000 ans.

Henri Salvayre
Henri Salvayre : “Attention, la Têt creuse son lit et va bientôt crever le toit de la nappe phréatique du pliocène” .

À la merci d’une crue majeure

Alors que faire ? “En premier lieu, il faut faire un état des lieux précis, puis il faut très vite ralentir le cours de l’eau, construire des épis, supprimer les gués qui provoquent des creusements et mettre le fleuve « en tuyaux » sur les parties les plus proches de la nappe, pour stopper le creusement. C’est urgent, il faut vite engager des études pour savoir exactement où l’on en est. Et faire les travaux… Cela ne coûterait pas très cher en regard des enjeux” plaide-il. “Nous sommes à la merci des dégâts irrémédiables que ferait une crue majeure de l’ampleur de cette de 1940…” Autant de préconisations qui viennent ajouter une dimension nouvelle dans la bagarre qui oppose France Nature Environnement et les irriguants du département. Et globalement la doctrine écologiste sur les rivières et la nécessaire restauration de la continuité écologique. Dans le recours intenté devant le tribunal administratif de Montpellier, FNE conteste en effet le débit minimum fixé par les services de l’État, 600 litres par seconde, et réclame de monter à 2 000 litres par seconde. Or, si l’on augmente le débit de la rivière, l’eau creusera plus pour venir compliquer une situation qui l’est déjà, en plus de venir mettre en tension la ressource en eau pour l’irrigation, vitale pour l’agriculture du département.

“Tout le monde a fait des efforts”

De ce côté-là, si le pire était craint, en raison de la sécheresse en début d’été, la saison d’irrigation s’est passée correctement, sans rupture d’approvisionnement selon Sandrine Jaffard de l’Union de canaux d’Ille et de Corbère. “Nous avons finalement vécu une année normale parce que nous avons été rigoureux dans la gestion de cet été. Tous les canaux ont mis en place des tours d’eau, des restrictions, pour limiter au strict nécessaire les prélèvements sur la Têt. Tout le monde a fait de gros efforts pour gérer au mieux” confirme-t-elle. “Et ce, sans que cela ait un impact sur la production alors que la campagne d’irrigation avait commencé plus tôt que d’habitude, à partir de la mi-juillet nous n’avons jamais prélevé plus de 6 mètres cubes.”

Si les canaux ont déposé leurs remarques devant le tribunal administratif, l’État, qui est directement attaqué par la FNE, n’a toujours pas répondu. Enfin, la fin du mois de septembre a vu la signature d’un avenant au contrat de rivière pour l’entretien de la Têt avec 8 M € de financements supplémentaires. Au cours du contrat qui porte sur la période 2017-2022, ce sont 46 M € qui auront été engagés, 26 millions pour l’amélioration de l’assainissement sur le bassin-versant (création ou rénovation de stations d’épuration, réseaux d’eaux usées).

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