Prévention incendie : réinvestir dans les coupures de feu

Le système de prévention basé sur les coupures de combustibles entretenues par les animaux d’élevage se réduit à peau de chagrin. La faute à la PAC, à la baisse des financements, à la complexité des dossiers. Il est urgent d’agir.

L’actualité de l’année nous le rappelle sévèrement, les grands feux ne sont plus l’apanage des grandes forêts. La garrigue, le maquis brûlent aussi très bien et très vite, comme l’a montré le feu de Cerbère en plein milieu du printemps, cavalant sur 1 000 hectares en quelques heures attisé par une forte tramontane. Et quand on pense défense de la forêt contre les incendies, immanquablement, c’est aux pompiers et aux canadairs que vont les premières pensées. Pourtant, l’agriculture joue et pourrait jouer un rôle plus important encore quand il s’agit de stopper la progression des incendies. Avec l’aide des coupures de feux, qu’elles soient de vigne, dont on a vu l’efficacité à Cerbère, ou de coupures de combustibles entretenues par des animaux herbivores, des bovins aux caprins en passant par les moutons… “C’est ce qui avait été mis en place après les grands incendies de 1976” explique Jean-Claude Coulet, éleveur à Baillestavy. Mais depuis, comme souvent avec les catastrophes naturelles de grande ampleur ne survenant que de loin en loin, les souvenirs s’estompent et la garde est baissée. En l’occurrence, ce sont les financements qui se réduisent et qui limitent l’impact potentiel de l’agriculture.

De 1 000 à 300

“Ce qui est compliqué, c’est qu’il a fallu faire rentrer ces financements dans le cadre de la Politique agricole commune qui n’est pas adaptée à ce type de problématique très méditerranéenne. Il a toujours fallu trouver des astuces” résume-t-il. Le résultat est là, quand 1 000 hectares de coupures entretenus par soixante éleveurs étaient financés à la mise en place des contrats DFCI, il n’en subsiste aujourd’hui plus qu’une petite portion. Cette année, 14 éleveurs sont concernés pour environ 200 ha de coupures et pour l’année prochaine, une petite vingtaine d’éleveurs pour 250 à 300 ha dans le département des Pyrénées-Orientales. “Cette année, par manque de budget, il a fallu même prioriser les coupures qui bénéficieraient des contrats en fonction du risque, alors qu’au départ, il y a une trentaine d’années, ces contrats tripartites entre l’éleveur, l’État et l’Europe étaient très incitatifs, c’était un moyen de lutter contre les incendies mais aussi contre la déprise agricole, en particulier dans les Aspres ou les Albères, deux massifs très soumis au risque incendie” rappelle Carole Duperron, en charge du dossier à la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. “C’était tellement incitatif que cela avait permis, à l’époque, d’installer des éleveurs sur des zones économiquement très difficiles. Le contrat venait compléter la rémunération de l’éleveur” ajoute Jean-Claude Coulet.

Fusion

Car si certaines zones enherbées fournissent de quoi nourrir les animaux, d’autres sont bien en peine d’apporter de quoi subsister au-delà du premier passage d’entretien… D’autres paramètres sont venus brouiller la donne en plus de la réduction des enveloppes, la fusion des régions et le changement climatique. “C’est plus ou moins toute la région Occitanie qui est aujourd’hui, à des niveaux différents, impactée par le risque incendie, alors il faut partager l’enveloppe” ajoute Carole Duperron. “Depuis leur mise en place, ces coupures font partie de l’atlas des sapeurs pompiers et sont couramment utilisées, à l’instar des pistes créées à cet effet, pour intervenir sur les feux. C’est un véritable appui aux services de lutte contre les incendies et c’est dommage que cette contribution de l’agriculture ne soit pas mieux reconnue, parce que l’enveloppe qu’il faut dégager est négligeable par rapport à la facture des interventions destinées à éteindre les feux chaque année…”

PSE

Quelles pistes alors ? Des réflexions sont en cours pour aller chercher de nouveaux financements du côté du privé et des paiements pour services environnementaux pour tenter d’implanter plus de vignes autour des villages. Jean-Claude Coulet penche, lui, pour une réforme plus profonde avec une approche au minimum régionale et au mieux départementale, locale. “Pour que ce qui est mis en place colle à la fois à la réalité du terrain, aux besoins des pompiers et à ceux des éleveurs.”

Michel Maurisard, pompier et vigneron

“Pour nous, pompiers, les coupures sont importantes parce qu’elles nous aident dans la lutte contre les incendies. Cela permet de ralentir la propagation du feu. Le type de culture importe peu à partir du moment où elles sont pérennes et correctement désherbées” explique Michel Maurisard, chef de centre de la caserne d’Estagel mais également vigneron. “Dans les parcelles, si l’herbe fait 20 ou 30 centimètres de haut et qu’elle est grillée, cela constitue des zones d’accélération du feu, ou de dispersion à cause des escarbilles poussées par le vent quand il y a de la tramontane.” Bref, une vigne non tondue, par exemple, est un facteur de risque, car les escarbilles sont capables de propulser un feu plusieurs dizaines de mètres en avant du front proprement dit, c’est ce que les pompiers appellent les sautes courtes. “Si c’est propre, avec de la vigne ou un verger par exemple, le feu ne progresse pas et les escarbilles s’éteignent sur le sol nu.” Les vignes offrent en plus une résistance au feu, la chaleur ne faisant qu’assécher les trois ou cinq premiers ceps “qui repartiront le plus souvent par la suite” précise Michel Maurisard qui apprécierait de voir tous les villages protégés par des coupes-feu de vignes ou vergers. “Cette première protection autour des villages permet de diminuer les risques que nous prenons pour protéger les biens et qui mobilisent souvent la moitié des hommes et matériels engagés au détriment de la lutte contre le front principal du feu.”

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