Phytos : vous avez dit effet cocktail ?
Les premiers résultats d’une vaste étude conduite par l’agence européenne de santé (EFSA) montre qu’il n’y a pas d’effet significatif des supposés effets cocktails de résidus de pesticides via l’alimentation sur le système nerveux et la thyroïde.
La science a besoin de temps pour s’exprimer. Loin du temps des débats et des imprécations en tout cas. Il y a quelques jours, l’Agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA) a commencé à publier les résultats des études qu’elle mène sur les “effets cocktails”. Nul alcool là-dedans, l’effet cocktail est un effet supposé, délétère pour la santé, de l’association de plusieurs produits phytopharmaceutiques. Car si les principes actifs, les molécules, sont largement étudiés seuls, il n’y avait pas de référence pour ces “cocktails” jusqu’ici, laissant libre cours à tous les fantasmes. C’est même devenu la tarte à la crème des militants anti-pesticides attribuant à ces associations toutes les diableries du monde… Dans la pratique, les produits peuvent contenir plusieurs substances actives mais les mélanges de produits en bout de champ pour éviter plusieurs passages sont encadrés par l’arrêté français “mélange”. Ils sont même interdits s’ils mettent en œuvre des produits classés reprotoxiques et cancérigènes, sauf si l’Anses donne son feu vert.
500 molécules
Toxicologue, Antony Fastier œuvrait à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses, il travaille aujourd’hui pour BASF) au moment où il a fallu préparer le cadre des études. “Ce sont plus de 500 molécules, présentes sur le marché ou retirées du marché, qui ont été listées, étudiées, classées en fonction de leurs différents effets toxiques… Puis il a fallu évaluer, mesurer la probabilité qu’une personne puisse être exposée à plusieurs molécules ayant le même mode d’action” explique-t-il. Au total, trois institutions, dont l’Anses, ont travaillé à cette étude coordonnée par l’Agence européenne. Au total, la somme des données analysée est imposante puisque les effets des ces molécules ont été passés aux cribles de 10 régimes alimentaires issues de différents pays européens. La recherche a consisté à déterminer si les mélanges pouvaient avoir des conséquences sur plusieurs organes du corps, la thyroïde en premier lieu, le foie, les reins, l’œil et le système reproducteur. “Quand on associe deux molécules, on peut être confronté à trois types d’effets. Le pire, c’est la synergie, lorsque un plus un font trois, il y a ensuite l’effet additif, quand un plus un font deux et l’absence d’effet entre les deux molécules (effets indépendants), lorsque un plus un donne un résultat inférieur à un. Ces situations d’effets indépendants et d’effets additifs sont les plus courantes, la synergie est, elle, très rarement signalée” détaille Antony Fastier.
Pas concluant
Sept ans après donc, les premiers résultats de la série d’études engagées concernent la thyroïde et le système nerveux central et ne permettent pas de conclure à la réalité d’effets sur les organismes. En conclusion, les auteurs de l’étude indiquent : “l’exposition cumulée n’atteint pas le seuil de prise en compte réglementaire pour tous les groupes de population considérés. Cette certitude dépasse 99 % pour les quatre populations adultes, 95 % pour deux populations d’enfants et une population de tout-petits, 90 % pour une population d’enfants et une population de tout-petits et 80 % pour la population restante de tout-petits. Pour les altérations fonctionnelles du système nerveux, la même conclusion a été tirée avec une certitude dépassant 99 % pour toutes les populations adultes et une population d’enfants et 95 % pour deux populations d’enfants et toutes les populations de tout-petits. Ces populations peuvent être considérées comme représentatives des populations européennes les plus vulnérables en termes de potentiel d’exposition.” Antony Fastier ajoute : “On peut ajouter que les effets recherchés sur la thyroïde et sur le système nerveux, au moins pour certains, peuvent être considérés comme des effets perturbateurs endocriniens, donc là encore, les conclusions sont rassurantes.” Ce qui, en d’autres termes et en l’état actuel de la science, revient à dire que si effet cocktail il y a, l’exposition par l’alimentation est bien en-deçà des normes fixées par les règlements européens.
Yann Kerveno
L’étude complète : https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2020.6087