Péripéties syndicales : Les ronds-points

Idéalement situés, car ils permettent de distribuer la circulation à l’entrée des agglomérations, les ronds-points, bien avant le mouvement des Gilets jaunes qui les privilégiaient pour installer leurs rendez-vous hebdomadaires, ont souvent été choisis par le monde agricole pour exprimer son mécontentement. Les Pyrénées-Orientales n’échappent pas à la règle avec le giratoire situé aux abords du marché Saint Charles d’où les volutes épaisses et obscures provenant des pneus incendiés montent encore régulièrement dans le ciel roussillonnais. Et ce, bien sûr, en période de mévente suscitée par la concurrence des produits importés. Un lieu stratégique qui, une fois bloqué, interdit également l’accès aux camions en provenance d’Espagne vers la plateforme internationale. Petite parenthèse pyrotechnique dans un flux ininterrompu de véhicules qui a toujours eu le don d’irriter les importateurs et ceux qui, du côté des ambassades, dénoncent une entrave à la libre circulation des marchandises sur le sol européen.

Autre rond-point, autre message, non loin de là et pour les mêmes raisons, aux abords du péage Perpignan Sud où le goudron porte encore les stigmates des manifestations organisées cet hiver. Là encore, comme plus loin, au Boulou, le but étant de bloquer les camions tout en interrompant une circulation souvent très dense à cet endroit-là. Le mode opératoire consistant à déverser soit des marchandises importées « tombées », par on ne sait quel mouvement brusque du destin, des semi-remorques en provenance d’Espagne, soit celles produites localement n’ayant pu être commercialisées. Pour cette seconde occurrence, camions bennes et tracteurs convergent traditionnellement en cortège des quatre coins du département après avoir suscité quelques ralentissements et autres opérations escargots. Les livraisons sont ensuite déversées méthodiquement et avec un souci d’obstruction qui interdit, en quelques secondes, tout franchissement.
Des tonnes de fruits et légumes, de la fumée, des flammes, du jus qui ruisselle sur des dizaines de mètres et des graines… Telles celles qui donnent des pieds de tomates d’une année sur l’autre. C’est Joël Aymeric, alors président des Jeunes agriculteurs qui le remarqua sur le rond-point de la Porte d’Espagne au début des années 2000. Ou comment, sur l’axe commercial le plus fréquenté du département, ladite semence avait fini par prendre racine comme pour se rappeler au bon souvenir de ceux qui ne jouent pas toujours le jeu de la préférence locale.

Autre rond-point stratégique, celui du « toréador », situé à l’entrée de Millas avec, en 1999, plusieurs actions menées à cette intersection pour attirer l’attention du président du Conseil départemental, également parlementaire, vivant dans cette commune du Ribéral et dont il fut maire pendant de nombreuses années. Là encore, l’incident diplomatique tint à un fil, ou plutôt à un câble accroché au cou de la statue et tendu jusqu’à l’attelage d’un tracteur. Il fallut faire preuve de beaucoup de retenue sur la pédale d’accélérateur et de persuasion pour dissuader le chauffeur. À la fois symbole politique et œuvre d’art, la chute du matador aurait certainement suscité un émoi dévastateur auprès d’une vox populi déjà suffisamment irritée par les blocages à répétition survenus cette année-là alors que, il est important de le préciser, plus rien ne se vendait.

Avec le temps, de spontanées, ces manifestations sont devenues déclarées. Et les itinéraires empruntés sont désormais bien souvent encadrés voire « sécurisés et accompagnés » moyennant certains engagements syndicaux. Personnellement, j’ai commencé à comprendre que le charme était éventé et que les carottes étaient cuites le jour où les responsables professionnels se sont mis à prévenir les gardiens de la paix.

Jean-Paul Pelras

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