Où est passé « l’Etat » ? (Par Jean-Paul Pelras)

Démerdez vous ! C’est un peu et de plus en plus souvent ce que l’on en déduit après avoir poireauté 3 ou 4 heures derrière son téléphone en écoutant patiemment la musique d’ascenseur diffusée par certaines administrations et autres organismes publics censés, moyennant l’impôt versé et 3 000 milliards d’euros de déficit cumulés, répondre à nos multiples interrogations.

Démerdez-vous aussi lorsque vous n’arrivez plus à obtenir un rendez-vous médical malgré l’urgence de la situation. Démerdez-vous encore lorsque vous cherchez à joindre celui qui est censé vous répondre car vous souhaitez contester le montant affiché sur votre facture d’eau, de téléphone ou d’électricité. Démerdez-vous et veuillez renouveler votre appel quand le service après-vente de votre machine à laver est « saturé ». Et ainsi de suite, tout à l’avenant du matin au soir, dans cette société où beaucoup préfèrent abandonner car ils n’ont plus d’interlocuteur si ce n’est une voix lointaine, qui vous renvoie, de conseiller en conseiller, vers des conseillers qui ne comprennent jamais, vous font répéter et finissent par raccrocher au moment ou, supplice suprême, ils allaient enfin répondre à la question demandée.

Et puis il y a la politique. Celle qui, à bien y regarder, nous conseille aussi de nous démerder. Si les évènements dramatiques du moment suscitent énormément de questions ceux qui sont censés y répondre préfèrent, une fois de plus, botter en touche et se perdre en circonvolutions. Le personnel politique étant davantage qualifié pour nous imposer, à la hussarde, une réforme des retraites à coup de 49 3 que pour légiférer courageusement et sans trembler sur les menaces de plus en plus prégnantes pesant sur nos sociétés. Compatissez, communiez, observez des minutes de silence, allumez des bougies, recueillez-vous, entendez ces discours pétris d’empathie, pensez à ménager la chèvre et le chou et démerdez-vous.

Faire Nation !

 Comme atteint d’un mal incurable, notre pays et la plupart des démocraties versent dans le fatalisme et la résignation en attendant des jours meilleurs où la raison finira (peut-être) par l’emporter sur l’angoisse et la terreur. L’Etat, de l’Elysée à Matignon, en passant par les 577 députés et les 348 sénateurs qui siègent dans les Assemblées jusqu’aux innombrables institutions censées gérer le quotidien et l’avenir des Français, ne peut plus se défausser en jaugeant l’opinion, en attendant les réactions, en jouant la montre, en espérant que le téléspectateur finisse par se lasser, en comptant sur le prisme des médias pour passer à d’autres informations, plus ou moins orientées, plus ou moins calibrées. Si la résilience est, depuis quelques années, devenue synonyme de résignation, l’accoutumance, lentement mais sûrement, est en train de distiller son insidieux poison.

Ceux qui sont (aussi) élus pour nous protéger sont devenus perméables aux pressions cultuelles, culturelles, géopolitiques, financières, économiques, médiatiques… Et nous assistons, loin des (vrais) champs de bataille où l’on tue, où l’on viole, où l’on mutile, où l’on torture, où l’on kidnappe, où l’on sépare, où l’on exile, où l’on déplace, où l’on anéantit, à des chicaneries politiciennes avec des impétrants qui n’en sont plus à une contradiction près.

Barbotant dans l’abstrait, ils jouent avec les mots et nous laissent nous démerder en attendant la prochaine bataille ou le prochain attentat. Tout simplement car il n’y a plus d’Etat !  Ou du moins là où nous l’attendons, avec des législateurs capables de se réunir, de s’unir, de réagir et de « faire Nation » pour imposer et préférer aux atermoiements politiciens des dispositifs véritablement régaliens.

De ces administrations numérisées et sans interlocuteurs à ces institutions qui (le ventre souvent trop plein), haussent les omoplates pour exorciser la misère et la peur, de plus en plus de gens préfèrent regarder ailleurs et abandonner.

L’histoire nous a pourtant souvent démontré que c’est de là que viennent tous les dangers.    

 

 

 

 

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