Lettre à un(e) ami(e) journaliste (Par Jean-Paul Pelras)

Cher(e) ami(e),

voilà une quinzaine d’années, conjoncture agricole oblige, je troquais le tracteur contre l’ordinateur pour devenir journaliste. Pigiste, j’écrivais alors des feuillets au kilomètre pour gagner ma vie tout en essayant de composer avec la condescendance de certains confrères. Lesquels, forcément plus instruits que moi, « avaient fait l’école de journalisme », alors que j’avais dû claquer la porte de l’Education nationale quelque part au large de mes 14 ans. 

Ayant conservé ce regard paysan qui nous tient à bonne distance des illusions et des contrefaçons, j’ai découvert un métier comparable à celui des ecclésiastiques, des juges, des médecins. Sauf qu’ici, à bien y regarder, certains passaient plus de temps à juger qu’à absoudre ou à soigner. J’ai alors entendu parler de déontologie, d’objectivité, de liberté d’expression, d’esprit critique… Et je croyais être tombé du bon côté du Rubicon. Celui où l’on ne se trompe jamais, où la vérité relève de la conscience, où ce qui est écrit n’est jamais travesti par les apparences.

J’étais fier, tu comprends, moi le fils de l’ouvrier qui avait brûlé tant d’étapes et qui signait désormais ses articles, qui était lu par des milliers de gens, à qui l’on téléphonait pour savoir si je pouvais « faire un papier » sur tel ou tel sujet.

Et puis voilà qu’au bout de quelques années, le directeur d’un quotidien me fit comprendre qu’il me fallait mettre un peu d’eau dans mon vin. Il me conseilla même de ne plus indiquer mon nom « au bas du parchemin » pendant quelques temps parce qu’un gérant de supermarché n’avait pas apprécié de voir son enseigne nommément citée. Parce que le cuistre menaçait de supprimer les insertions publicitaires et le montant non négligeable qui leur était adossé. C’est à ce moment-là que tout a basculé.

Brel disait dans « Le Caporal Casse pompon » : « C’est à la minceur des épluchures que l’on voit la grandeur des nations. » Dans le même registre et sur l’air d’une autre chanson, disons que, pour certains médias, c’est au nombre de publicités que l’on devine aisément le suivant de celui qu’on suivait…  

J’ai donc changé de crémerie et retrouvé ma liberté. Quelques publications nationales m’ont confié des tribunes. La traversée du désert n’a pas eu lieu car les lectrices, les lecteurs et les directeurs de publication ont continué à me suivre et à me soutenir.

Aujourd’hui, à l’heure où les médias suscitent méfiance et mépris, il m’arrive, quand on me questionne sur ma profession, d’esquiver la réponse. En une quinzaine d’années je suis donc passé de la fierté à la honte. Tout simplement car ce métier n’en est plus un. Il est devenu, souvent financé par des « gens importants », celui de quelques marchands de raisonnements perméables aux tendances, perfusés aux subventions. Comment, pour évoquer l’époque que nous traversons, ne pas suivre les injonctions de l’injection quand la plupart des médias diffusent à longueur de pages et de journée des spots commandés par le pouvoir en place pour inciter à la vaccination ?

Tu me diras que personne ne peut te dicter tes opinions, que tout cela relève de mon imagination, que tu travailles pour un journal qui respecte ton boulot et jamais ne retouche un papier. Peut-être et, je te l’accorde, il ne faut surtout pas généraliser. Mais comment ne pas être indigné par certaines approximations comptables sur le nombre de manifestants qui défilent contre la mise en place du pass sanitaire aujourd’hui, comme d’autres défilaient il y quelques temps pour dénoncer le coût de la vie ?

On peut être pour ou contre certaines idées, sans pour autant minorer les faits qui leurs sont corrélés. Ces faits qui sont ce qu’ils sont en toutes circonstances. Ces faits qui, relégués du premier rang qui leur est dû dans l’information, passent  à la cinquième place d’un générique où ils sont, soudainement, réduits à leur portion congrue.

Tu me diras aussi que vous ne pouvez pas compter tout le monde. Et tu auras raison. Mais alors, plutôt que de vous contenter des chiffres officiels, mieux vaut n’en fournir aucun. Car c’est en dénigrant la réalité que le politiquement correct migre vers le déontologiquement incorrect.

Alors que reste-t-il de nos amours ? Finalement pas grand-chose, si ce n’est ce que vont en faire les réseaux sociaux où chacun devient le journaliste de quelqu’un car les médias qui croyaient tout détenir ont fini par perdre la main et hypothéquer leur propre devenir.

Même Macron l’a compris. Il vient d’annoncer, depuis le Fort de Brégançon en mode t-shirt et selfie, qu’il avait choisi Tik-Tok et Instagram  pour échanger avec les Français. Allez, circulez amis journalistes, vous voilà « remerciés »

Jean-Paul Pelras

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