Lettre à Romain Grau, député français [par Jean-Paul Pelras]
Monsieur le député, Monsieur le conseiller départemental, maître, cher Romain,
afin de respecter votre fonction et pour ne risquer ni le cachot, ni l’admonestation, ni le courroux du garde des Sceaux, j’éviterai ici le tutoiement et m’en tiendrai aux réclamations qu’autorise le service après-vente, aux formulations bien évidemment non violentes. Laissons à ce propos de côté ces parenthèses largement médiatisées entre lesquelles vous avez été malmené, pour aborder une autre question non moins essentielle, celle qui concerne notre ruralité.
Comme vous le savez, Monsieur le député, j’appartiens à ce peuple d’en haut que l’on croit pittoresque, solide, rompu aux vicissitudes du temps et des éléments, patient, corvéable et malléable à merci. Ce peuple qui, selon certains décideurs, peut encore se satisfaire du (très) bas débit, d’une seule barre sur son téléphone portable, d’un médecin pour toute la vallée, de quelques réseaux “secondaires” rafistolés pour y accéder et d’une “Maison France Services” pour régler l’ensemble de ses difficultés.
Les députés, dont votre consœur Laurence Gayte, également “En marche” depuis bientôt 5 ans et à qui j’avais adressé un courrier du même acabit voilà quelques temps, les sénateurs, les conseillers départementaux, les conseillers régionaux, les élus locaux et même Jean Castex, qui occupait quelques responsabilités locales avant d’accéder à Matignon, le savent. Oui, ils savent, parce que nous le leur avons répété des centaines de fois, que le soir venu, par-dessus l’étoupe des lointains, nous devons nous transporter à la proue de l’étable, au fond du jardin ou à l’angle du préau pour chercher du réseau. Tout comme nous attendons un quart d’heure pour ouvrir un mail et parfois toute une soirée pour essayer de capter une chaine dans le kaléidoscope de nos écrans parasités.
D’un hiver sur l’autre, nos villages se vident, “les vignes courent dans la forêt”, les friches abritent le gibier qui ne cesse de proliférer, les populations se marginalisent, le joint payé par les “minimas sociaux” remplace le canon de rouge au comptoir du petit bistrot, les rideaux tombent pour toujours devant ces commerces où naguère quatre ou cinq générations ont prospéré, le mépris bouscule l’ordre établi, l’incurie remplace la dignité.
Car c’est bien cette paupérisation qui menace nos campagnes. Ces campagnes qui portent les stigmates d’une agriculture réduite à sa portion congrue. Ces campagnes ruinées par le jeu des importations déloyales acheminées, entre autres, par un “Train des primeurs” que votre Premier ministre est récemment venu inaugurer. Ces campagnes qui attendent le règlement d’un dossier gel avec “un milliard” atomisé façon puzzle et non encore définitivement attribué. Ces campagnes qui doivent composer avec la hausse vertigineuse des matières premières et celle du prix du carburant quand le moyen de transport le plus plébiscité demeure bien évidemment la voiture. Une réalité que les décideurs n’ont jamais intégrée. Une réalité qu’un misérable (et pathétique) chèque de cent euros ne peut, bien sûr, subitement venir dissiper.
Arrive ensuite, à marche forcée et portée par la ministre Wargon, la suppression des chaudières au fioul qui, à partir de cette année et lorsqu’elles ne fonctionneront plus, devront être remplacées par des moyens de chauffage plus coûteux, souvent inadaptés aux logements isolés. Sans oublier la dématérialisation adossée au télétravail, censée réduire les déplacements. Une tendance qui suscite, paradoxalement et alors que trop de zones blanches nous laissent encore sans Internet, ni téléphone, la fermeture de nombreuses administrations et services. Monsieur le député, Monsieur le conseiller départemental, venez essayer de “télétravailler” ici, quand il faut une demi-heure pour télécharger une pièce jointe, quand les communications sont coupées au bout de 15 secondes.
Il ne suffit pas, voyez-vous, de venir couper le ruban avant de repartir entre le verre de muscat et la tranche de saucisson pour comprendre à quoi ressemble, comme l’écrivait ailleurs Rimbaud, cette “dure réalité à étreindre”. Car pendant que d’autres croient savoir ce qui est bien pour nous en pataugeant dans l’abstrait de quelques circonvolutions politiciennes et lutéciennes, nous résistons 365 jours par an aux contraintes et aux aberrations administratives qui contribuent au découragement et à la lassitude de nos populations. Des populations qui subissent la gestion empirique des crises sanitaires et économiques. Avec une majorité présidentielle qui fait mine d’ignorer une inflation historique et l’effondrement plus que préoccupant du commerce extérieur. Avec, à l’heure où les milliardaires profitent du ruissellement, une dette publique qui atteint un niveau inédit. Avec cette part consubstantielle de déni et de mépris qui caractérise, mais est-il encore permis de l’écrire, ce qui relève de l’impéritie.
Voilà, Monsieur le député, ce que je suis venu vous dire aujourd’hui, sans violence, sans excès, avec des mots pour qualifier des faits et dénoncer ce que vous ne pouvez plus ignorer. J’attends votre réponse, elle sera bien entendue publiée ici. En espérant simplement qu’elle saura, loin des protocoles, loin des formules politiques convenues et calibrées, loin des catalogues de promesses reportées siné dié, répondre aux questions que se posent ceux que vous êtes censé défendre au sein des territoires et, de temps à autres, sur les bancs de l’Assemblée.
Jean-Paul Pelras
Certains extraits de cette lettre ont été publiés précédemment dans L’Agri, dans Le Point, dans L’Opinion, au travers d’éditos, de tribunes, de courriers adressés à des parlementaires, au Premier ministre, aux membres de son Gouvernement.