Lettre à “Madame” et à “Monsieur” [par Jean-Paul Pelras]

En 2012, François Fillon, alors Premier ministre, écrivait aux administrations pour leur demander de ne plus employer dans leurs formulaires ou correspondances les termes “Mademoiselle”, “Nom de jeune fille”, “Nom patronymique”, “Nom d’époux”, “Nom d’épouse” jugés discriminatoires ou sexistes par les associations féministes pour leur préférer “Nom d’usage” ou “Nom de famille”. Depuis, vous l’aurez remarqué, lorsque je rédige quelques bafouilles empanachées d’arabesques, rétif aux injonctions ministérielles et n’étant rétribué par aucune administration, je m’adresse aux pastourelles et aux pastoureaux pour les campagnols, aux jouvencelles et autres jouvenceaux, damoiseaux ou godelureaux pour les plus endimanchés, nobliaux pour les plus argentés. Sans oublier quelques “chers amis” lorsqu’il s’agit de les asticoter.

Mais voilà que vient de tomber l’injonction millésimée 2022. La Direction générale des Finances publiques vient, en effet, de demander à ses agents de ne plus indiquer la civilité des contribuables dans leurs correspondances sortantes. Autrement dit, de ne plus mentionner “Madame” ou “Monsieur”, termes ayant survécu à la mouture de 2012, désormais passés ad patres pour favoriser l’inclusion. Autrement dit, reconnaître “l’évolution de l’identité de genre” conformément à ce que réclament les adeptes du “woke”, tendance étasunienne promue notamment par certains artistes de variétés et autres députés nouvelets.
Ou comment quelques experts en relations humaines ont décidé de dynamiter les convenances après avoir condamné Dumbo, Peter pan, le Livre de la jungle, les Aristochats et, entres autres victimes collatérales de la connerie, les sparadraps de couleur blanche. Tout simplement, car il faut déconstruire l’individu afin de privilégier ce qu’il est aux dépens de ce qu’il fait, tout en activant le culte de la repentance et en calibrant la liberté de penser.

Parce que, voyez-vous, Madame, Monsieur, ce qui est important dans ce pays où tout va à vau-l’eau ce n’est de ne plus s’adresser à vous directement, mais en remplaçant par un simple “bonjour” les monstrueuses aménités qui vous désignent nommément.
La désincarnation de l’individu et en l’occurrence du contribuable, est devenue à ce point prégnante, que j’en suis à me remémorer cette citation de l’excellent Pierre Daninos déjà évoquée ici, je m’en excuse mais je n’avais rien de plus approprié en magasin, voici quelques semaines. “Le corps humain étant composé à 90 % d’eau, comment peut-on lui demander d’acquitter un tiers provisionnel.” Ou, en d’autres termes, et en utilisant un autre fluide, comment appeler une taxe à des individus qui ne sont pas clairement identifiés dans un monde administré jusqu’ici par la rigueur du protocole à la virgule près. Certains “appelés” pourraient ainsi retourner la dite missive à l’envoyeur en stipulant : “Veuillez préciser ma civilité”.
Car nous en sommes là, dans ce pays, à nous occuper du sexe des anges alors que la Gironde brûle et que septembre arrive avec son cortège de grandes incertitudes et de petites médiocrités.

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