Lettre à Frédérique Vidal, ma “cheffe” des Universités
Alors voilà, comme je vous ai bien entendue la seconde fois, lorsque vous avez réitéré votre dénonciation de “l’islamo gauchisme” des universitaires, je ne vais pas m’attacher à cette seule expression nauséabonde – qui ne veut rien dire par ailleurs – mais à vos explications. Vous expliquez vouloir ouvrir une enquête interne aux Universités afin de “séparer ce qui relève de la recherche académique, de ce qui relève du
militantisme et de l’opinion”. Est ainsi ciblé selon vos propos, tout ce qui relèverait des études postcoloniales et décoloniales, des travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité. Autrement dit la méthode même, propre aux sciences sociales, consistant à prendre en compte dans toute étude, les divers mécanismes de domination liés au sexe, au genre, à la race, à la communauté et aux générations. Donc faire table rase de tout ça, pour rester positif et empêcher, selon vos dires “l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré”. Bon là, j’avoue que, comme pour notre ancienne ministre du Travail, Muriel Penicaud, il faudrait un décodeur… Mais, bon, c’est vous la “cheffe” et comme pour ma part, c’est le Droit que j’enseigne, j’ai besoin de savoir.
Alors voilà. Puis-je rappeler en cours que ce n’est qu’avec la loi du 11 juillet 1975 que le délit d’adultère de la femme a été abrogé (ancien article 337 du Code Pénal qui prévoyait une peine d’emprisonnement de 3 mois à 2 ans pour la femme adultère quand l’adultère de son mari ne l’exposait qu’à une amende de 360 francs à 7 200 francs) ? Ne peut-on pas craindre que des “hordes” féministes s’emparent de la question pour dénoncer encore le patriarcat et le machisme dominants ? Puis-je enseigner que, pour certains actes juridiques, une intention spécifique est requise pour parfaire le consentement, comme dans le mariage avec cette notion “d’affectio maritalis” qui en son absence, en permet l’annulation, sans parler de cette application particulière faite par la jurisprudence française de la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle, dénommée alors “la jurisprudence des petites épouses” des fonctionnaires français de nos colonies ? Ne peut-on pas craindre un renchérissement de cet anticolonialisme ambiant qui ne verrait dans cette absence de “volonté de fonder une famille au sens de la société française” de l’époque – fondement de l’annulation de ces mariages – qu’une manifestation supplémentaire du racisme dont seraient empreintes nos institutions ?
Une Université sans questions ?
Alors, ils sont nombreux déjà à avoir rendu les armes et à se contenter de ne dire et écrire que le positif, l’état actuel de notre Droit parce que c’est le prix à payer pour “être dans le coup” et se raccrocher à la “start-up nation”. L’histoire du Droit et la sociologie du Droit sont déjà devenues les parents pauvres de nos facultés. Apprendre sans comprendre, faire semblant de comprendre sans savoir d’où on vient, ni pourquoi, céder là encore à l’instantanéité de l’information, même dans le domaine juridique. Voilà ce que vous attendez de nous, comme votre gouvernement l’a déjà obtenu d’une certaine presse. Ne pas aller plus loin en faisant des recoupements, ne pas se poser de questions sur les origines et l’évolution, donc ne pas s’autoriser à penser que ça pourrait devenir mieux. Parce que ça, ce ne serait pas de la recherche académique mais “du militantisme et de l’opinion”. Finalement, vous nous demandez de nous contenter de ce qui est aujourd’hui et nous interdisez d’aller au-delà, de peur que soient renseignés des esprits insatisfaits.
Dans quelques mois, sur votre lancée, il deviendra répréhensible de rappeler que c’est notre garde des Sceaux actuel qui, jadis (mais il n’y a pas si longtemps), avait créé cette notion abjecte “d’inceste consenti”. Alors certes, dans sa fonction ministérielle, on ne peut que saluer ses réformes annoncées et notamment cette présomption de non consentement, mais là où nous tirerions une leçon de relativité du jeu du blanc et du noir dans un procès et des limites éthiques du rôle de l’avocat de la défense, vous ne verriez que propos séditieux destinés à alimenter la colère de ceux/celles qui pourraient donner l’assaut du palais de justice !
Alors, au bout du compte, c’est peut-être une nouvelle version de l’ancien article 1781 du Code civil de 1804 que vous voudriez instaurer, “le maître est cru sur son affirmation”. Abrogée en 1866, restaurée en 2021, cette règle imposerait aux universitaires de cesser de s’interroger et de remettre en question la doctrine de l’État : pourquoi et comment ? – Parce que ! Et c’est tout.