Lettre à Emmanuel Macron (l’Élysée, la Lanterne, Brégançon) [par Jean-Paul Pelras]
Monsieur le président,
Vous avez récemment déclaré “Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs”, englobant derrière ce chiffre ceux qui vous mésestiment et, de facto, ceux qui vous surestiment. La formule, vous l’aurez remarqué, servit de prétexte à reconvoquer quelques “ante” tirades dont vous êtes devenu familier, tel ce désormais légendaire “gaulois réfractaire” ou autre “traverser la rue pour trouver du travail”, “pognon de dingue”, “qu’ils viennent me chercher”. Sans oublier bien entendu “ceux qui foutent le bordel”, “les fainéants et les cyniques” ou encore “les gens qui ne sont rien”…
Il m’arrive lorsque, même partis pour trop longtemps, j’essaye de retrouver quelques interlocuteurs rassurants, de repenser à Jean d’Ormesson avec qui j’ai eu le privilège d’échanger quelques fois. Je me demande ce que l’académicien aurait fait du “crayon des enchantements” que vous avez déposé, selon son vœu, sur son cercueil dans la cour des Invalides. Ce qu’il aurait écrit sur le “désenchantement” actuel. Ce que lui auraient inspiré vos petites phrases et la suffisance qui les caractérise alors que notre pays se voit privé de certaines libertés, alors que les Français attendent davantage du président que du geôlier.
Ces Français qui en ont assez des atermoiements à répétitions, des contradictions politico-scientifiques, des injonctions infantilisantes, des verbalisations à géométrie variable, selon qu’ils se rendent après 6 heures du soir chez leur boulanger ou qu’ils négocient de quoi rouler quelques pétards et snifer quelques lignes aux portes de la cité. Ces Français fatigués, démoralisés, désociabilisés qui, et c’est ce qui devrait vous inquiéter puisque vous êtes le garant de notre démocratie, n’auront bientôt plus la force de s’indigner.
Et que dire, oui que dire de ces professionnels qui, lorsque la perfusion ne sera plus d’actualité, lorsque le “quoi qu’il en coûte” aura fait long feu dans les vicissitudes de l’économie, finiront ruinés en apostille de l’oubli ?
“On vous enterrera dans une nappe” lançait au début du siècle dernier un mondain à l’abbé Mugnier lui reprochant de trop se sustenter. L’ecclésiastique, confesseur du tout Paris, lui retorqua in petto : “Avec vos miettes”. La réplique est à méditer, voire à adapter au contexte, en ces temps où le bilan sera certainement davantage aux disettes qu’aux festivités. En ces temps où le crédit à l’égard du politique est souvent proportionnel à son impéritie.
Alors, bien sûr, vous ne pouvez être tenu pour responsable de tout ce que notre pays est en train de traverser. Mais pourquoi user du culte de la persécution en nous désignant comme étant vos accusateurs ? Pourquoi ce grief à l’égard d’un peuple qui demande simplement un peu plus de considération, un peu moins d’arrogance, un peu plus d’attention, un peu moins de condescendance ?
La France est triste Monsieur le président. De confinement en confinement, le soir venu, autour des cuisines éclairées, elle attend le lendemain sans espérer. Car elle doute, car elle n’a plus confiance, car elle n’ose plus contester. Car, à bien y regarder, elle a presque peur de déranger.
L’écrivain gardois Jean Carrière me confiait quelques temps avant de s’absenter. “Tu vois, il est désormais trop tard pour mourir, il va falloir trouver d’urgence une autre solution”. Alternative dont il n’a manifestement pas pu bénéficier. Mais il m’a légué ce message au demeurant fort singulier que je vous transmets à mon tour adapté aux circonstances du moment. Redonnez, Monsieur le président, aux Français cette envie d’espérer, ce panache qu’ils ont perdu à trop écouter les marchands de mauvaises nouvelles, une date qui coïncide avec l’arrivée des jonquilles ou le retour des hirondelles. Un signe qui nous réconcilie avec les institutions que vous représentez. Ces institutions que le peuple saura toujours considérer tant qu’elles auront la sagesse de le respecter.