Lettre à Emmanuel Macron : l’agriculture française doit redevenir, sans délai, une priorité nationale [par Jean-Paul Pelras]
Monsieur le Président,
au regard du contexte, avec les secteurs de l’industrie, de l’énergie et de l’armement, celui de l’agriculture française doit être considéré, à nouveau, comme prioritaire. Les événements sanitaires et désormais le conflit ukrainien révèlent, comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les enjeux humanitaires, économiques et géostratégiques que représente notre capacité à maintenir, coûte que coûte, notre autonomie alimentaire.
Notre agriculture doit, à ce titre, pouvoir compter sur un soutien sans faille de la part de votre gouvernement et de l’Union européenne que vous présidez actuellement. Une Europe qui doit se ressaisir et abandonner tout gadget inutile susceptible d’affaiblir à la fois notre compétitivité et notre productivité. Je pense bien évidemment au programme Farm to fork qui prône, à très court terme, une réduction des intrants et une augmentation imposée des cultures bio. Les notions de pouvoir d’achat et d’agronomie échappent, à ce propos, complètement à la rationalité des technocrates bruxellois. Le suivisme environnementaliste ne doit plus dicter ses caprices aux acteurs économiques mais, à partir de maintenant, s’adapter, s’il en est encore capable, aux impératifs géopolitiques.
Tout comme en France, Monsieur le président, le ministère de l’Agriculture doit retrouver la place qui était la sienne voici deux décennies. C’est Barbara Pompili qui doit rendre des comptes à Julien de Normandie et non l’inverse, si l’on considère le désastre économique et sociétal qu’est en train de susciter l’acharnement des écologistes à l’encontre du monde paysan. Les résultats sont là, avec 100 000 agriculteurs définitivement sortis des radars en 10 ans. Avec, sur la balance du commerce extérieur, un déficit agricole historique avoisinant 22 milliards d’euros et un risque de dépendance accru aux importations.
Nos campagnes en ont assez de ces donneurs de leçons qui ne savent de l’outil ni l’usage, ni le prix, qui imposent leurs dogmes cœrcitifs et leurs contraintes administratives, car ils obéissent à la médiatisation de certaines tendances politiquement correctes.
Notre agriculture n’est pas celle des coquelicots. Elle est celle qui remplit nos buffets et nos frigos. Elle est, de surcroît, celle qui a fait l’effort de devenir l’une des plus vertueuses au monde. Si nous voulons qu’elle retrouve sa place sur l’échiquier planétaire, il faut la laisser travailler. Autrement dit, la laisser protéger, amender, conduire, irriguer et entretenir ses cultures avec la technicité dont elle dispose et non lui imposer le retour au désherbage manuel et au cheval de trait. Il faut arrêter de penser que l’on peut concilier décroissance, idéologie et économie. Il faut arrêter de jouer à la dinette avec des professionnels qui connaissent leurs métiers, qui luttent contre les éléments, contre les ravageurs, contre les prédateurs, contre les maladies.
Tout comme l’Europe doit désormais reconsidérer et réorienter ses soutiens en faveur des secteurs qui sont impactés à la fois par la hausse des matières premières et par celle des compétitions déloyales. Je pense notamment aux secteurs fruitiers, légumiers, viticoles, avicoles et à celui de l’élevage qui va devoir faire face à la flambée des cours des céréales suscitée, entre autres, par le conflit actuel. Les dispositions, datant pour certaines de 1957 et du Traité de Rome, ne sont plus adaptées à l’équité des aides consenties et doivent être revues sans délai pour insuffler une convergence digne de ce nom entre secteurs d’activités. Soutien et respect, c’est ce que la France doit désormais à ses agriculteurs. Si elle ne veut pas, d’ici quelques mois, dépendre sur le plan alimentaire des greniers, des près, des champs et du prix à payer imposé par un dictateur.
Bien respectueusement.
Jean-Paul Pelras
Cette lettre ouverte fut publiée sous forme de tribune dans le journal Le Point dimanche 27 février 2022.