Europe : influences tous azimuts [par Jean-Paul Pelras]
Souvenez-vous, fin 2022, la vice-présidente du parlement européen, Eva Kaili, est inculpée et écrouée pour corruption. La dame est accusée d’avoir perçu des sommes (plus de 900 000 euros en liquide ont été retrouvés à son domicile) versées par le Qatar afin d’influencer certaines décisions européennes.
La présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, avait à l’époque déclaré : “C’est une atteinte très grave à la réputation du Parlement européen”. Une réputation écornée dans la foulée lorsque la même Ursula fut accusée d’avoir échangé quelques mystérieux textos avec le patron des laboratoires Pfizer, Albert Boula. Des messages pour lesquels le New York times devait saisir la justice en février 2023, afin d’en connaître la teneur car pouvant révéler des informations sur les accords conclus par l’UE pour l’achat de 1,8 milliards de doses de vaccin Pfizer BioNTech contre la Covid 19.
Évoquons à présent cette information diffusée dans de nombreux médias, dont Le Point, qui nous apprend que “Au 1er septembre, l’économiste américaine Fiona Scott Morton devrait intégrer la puissante Direction générale de la concurrence, sorte d’État dans l’État au sein de la Commission européenne. (…) Sa mission consistera notamment à enquêter sur les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). (…) Un passage en force, appuyé par la présidente von der Leyen, car la nomination a été classée dans les points sans délibération des commissaires. Le lundi qui a précédé, lors de la réunion des cabinets, la nationalité de Fiona Scott Morton a été masquée. Elle ne figure pas sur son CV de 13 pages, lequel n’a été distribué qu’à la dernière minute et sous la forme papier. On y apprend, à la toute fin, que ses missions pour ses clients lui fournissaient des revenus de un ou deux millions de dollars en moyenne…” (Source Le Point – Emmanuel Berreta 13-07-2023).
Ingérence autorisée !
De Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, qui estime que cette nomination doit être “reconsidérée par la Commission”, à l’eurodéputé Geoffroy Didier qui déclare : “Embaucher une lobbyiste américaine des Gafam, au moment où l’Europe se décidait enfin à limiter leurs pouvoirs, c’est un comble. Cette nomination est aux mieux maladroite, au pire dangereuse” en passant par de nombreux responsables politiques ou professionnels, les réactions hostiles à cette “promotion” sont nombreuses. Les chefs des 4 plus grands groupes politiques européens ayant même déclaré de leur côté : “À l’heure où nos institutions font l’objet d’un examen minutieux face aux ingérences étrangères, nous ne comprenons pas que des candidats non-européens soient pris en considération pour un poste aussi stratégique et de haut niveau”.
Et pourtant, circulez, il n’y a plus rien ni à voir, ni à dire selon la porte-parole de la commission européenne Dana Spinant qui déclare : “La décision a été prise, nous ne voyons pas de raison de la reconsidérer”. Notons que l’ancien PDG de l’équipementier américain en informatique CISCO avait déjà été nommé ambassadeur de la French Tech à l’international en 2018 par Emmanuel Macron himself.
De toute évidence, il est donc difficile, de Paris à Bruxelles, d’échapper au magnétisme étasunien alors que la souveraineté numérique, au regard des enjeux que constitue ce secteur, s’impose au plan industriel, technologique, militaire et intellectuel avec le jeu d’influences qui vampirise notamment les réseaux sociaux. Et pourtant, si beaucoup voient, avec l’arrivée de Scott Morton dans l’arène bruxelloise, celle de la louve dans la bergerie, depuis que l’américain Mc Kinsey prend ses commandes à l’Elysée y a-t-il vraiment de quoi être surpris !