Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : Le lapin, le premier ministre, la taxe, le patient et le médecin
Voici donc la « Taxe lapin » récemment annoncée par le Premier ministre. Celle qui, ressortie du chapeau, devrait voir le jour en 2025. Les patients qui ne se présenteraient pas à leurs rendez-vous médicaux seraient ainsi sanctionnés financièrement moyennant une pénalité de 5 euros reversée au médecin concerné. Lequel devrait, lui-même, signaler le blase de celui qui aurait posé le fameux lapin. Étrange retournement de situation qui tend à faire culpabiliser une patientèle régulièrement confrontée au manque de médecins, aux déserts médicaux et à des délais interminables concernant les prises de rendez-vous. Quand Matignon annonce 15 à 30 millions de rencards non honorés avec des chiffres étayés par le Conseil de l’ordre des médecins pour 6 à 10 % de la patientèle concernée, la Caisse nationale d’assurance maladie tempère et annonce plutôt des chiffres ramenés entre 3 et 4 %. Il est certain que pour continuer à alimenter la politique du déni, il vaut mieux designer, à la louche, 5 individus mal éduqués que 95 attendant désespérément le jour où ils pourront enfin se faire soigner.
C’est à se demander si Monsieur Attal et les membres de son gouvernement ont visité les « clapiers ». Comprenez, par déduction sémantique et sans aucune connotation diffamatoire, ces cabinets où l’on se rend pour solliciter un examen. Quatre mois pour l’obtenir chez son dentiste. Si c’est chez son concurrent où vous n’avez jamais ouvert votre bouche, comptez un trimestre supplémentaire, six mois chez le cardiologue, un an chez l’ophtalmo… Pour tout le reste et si vous avez le malheur de défaillir pendant le week-end ou en pleine nuit, transportez-vous, comme vous le pouvez, aux urgences de l’hosto ou de la clinique. Et ce, à condition que l’établissement n’ait pas encore fermé définitivement et qu’il accepte, manque de personnel oblige, les admissions nocturnes.
Nos ministres devraient, à ce titre, venir expérimenter l’offre de soin dans les Pyrénées-Orientales où, avec une population en perpétuelle augmentation (qui n’aura peut-être bientôt plus une goutte d’eau pour boire et se laver), il faut aller à « Cuges » pour se faire soigner, radiographier, diagnostiquer. Nous verrons ensuite si, une fois le précieux sésame obtenu, ils auront encore envie, parce qu’ils ont mieux à faire, de le reporter sine die et d’acquitter, ce qui ne devrait pas trop les perturber, les 5 euros de pénalité.
Ceux qui sont réellement concernés et inquiétés par une pathologie, qu’ils passent par Doctolib (dispositif, rappelons-le, encouragé par l’État) ou directement par le secrétariat du toubib, espèrent plutôt, en croisant les doigts, qu’ils pourront prendre la place de celui qui se sera désisté. Oui, Monsieur Gabriel Attal, nous en sommes là ! Et non dans ces gesticulations politiciennes qui poussent jusqu’à l’infantilisation des pans entiers de notre société. Avec une « taxe lapin » qui appelle le médecin à la délation et qui, de surcroît concernant son application, emprunte à l’usine à gaz.
En attendant, une fois de plus, ceux qui nous dirigent seront passés à coté du problème, celui qui angoisse une bonne partie des Français, désemparés face aux déserts médicaux. Avec des praticiens qui partent sans être remplacés, des délais de rendez-vous ubuesques, une automédication par défaut, l’isolement accentué de nos territoires ruraux où nos anciens ne savent plus auprès de qui ils peuvent consulter. Et, tout simplement, faire renouveler les « remèdes » comme ils le font, depuis des années, à domicile, car ils ne peuvent plus se déplacer. Allez expliquer cela, Monsieur le Premier ministre, à ceux qui savent vraiment ce qu’est un lagomorphe à grandes oreilles parce qu’ils ont passé leurs vies à en élever. Et ils vous diront, concernant ce fameux lapin, que votre idée tient plutôt du pet.