Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : Le code
Ils sont partout. Et nous ne pouvons plus acheter, nous déplacer, nous faire soigner, nous nourrir, nous habiller, courir, marcher, écrire, lire, penser sans qu’ils viennent s’interposer à un moment ou à un autre, et surtout dès qu’advient celui de payer, entre nous et la réalité.
Nous avons tous été confrontés à la panne de carte bleue qu’il faut frotter contre le “tricot” quand elle ne fonctionne pas à la station-service ou au supermarché. Code refusé, sueurs froides, honte, panne sèche, plafond atteint, découvert envisagé, impatience dans la file d’attente, embarras de la caissière… En quelques instants, nous passons par toutes les situations jusqu’à ce que, miracle, le petit objet rectangulaire donne enfin satisfaction.
Idem, ou pire encore, quand vous devez, dans l’urgence, procéder depuis votre ordinateur à un virement bancaire ou au paiement d’une facture qui arrive le jour même à échéance. Identifiant, mot de passe… Et hop : incorrect, périmé, oublié… Veuillez recommencer ou composer un autre mot de passe “sécurisé”. Six chiffres, six lettres a minima, deux majuscules, un peu d’italiques, trois signes spéciaux et patati et patata. “Vous allez recevoir un mot de passe sur votre smartphone”. On court, il faut l’allumer, où sont passées les lunettes, ne pas glisser dans l’escalier. Et hop : mot de passe erroné ou bien vous vous apercevez qu’ils l’ont envoyé sur le portable de votre épouse. Il faut l’appeler. “Oui, attends, je ne sais pas comment on fait pour voir la messagerie en téléphonant. Je raccroche, je le note et je te rappelle.” Attention, vous n’avez que 15 minutes pour vous exécuter. Passé ce délai, il faut tout recommencer. “Mot de passe incorrect”. Pourtant c’est bien celui-là. Et non, Monsieur, vous avez oublié la majuscule, bis repetita.
Trois essais ou vous êtes définitivement considéré comme étant persona non grata par cette putain de machine qui vous demande parfois “si vous n’êtes pas un robot” et que vous avez envie de faire passer par la fenêtre, car elle ne vous écoute pas, car elle ne vous comprend pas. De toute façon, dites-vous qu’elle n’est pas là pour ça. Elle est là, vous diront ceux qui l’ont inventée, pour vous faciliter la vie, pour économiser vos déplacements, votre énergie, votre argent, pour mieux accompagner votre modus vivendi. Un peu comme le Qr code finalement, gribouillis numérique indissociable pour beaucoup d’entre nous d’une période où nous ne pouvions dépasser le kilomètre, rendre visite à nos anciens, boire un café debout.
Tracés ou estampillés comme n’importe quelle marchandise susceptible de se déplacer, nous n’en sommes pourtant qu’aux prémices d’une époque où, du code de nos portes d’entrées au déverrouillage de nos véhicules et de nos télés, en passant par celui de cet ordinateur qui nécessite un code pour accéder aux codes que nous avons hébergés sur internet, sans code nous ne pouvons plus exister.
Et malheur à celui qui n’aura pas consigné, sur le petit répertoire rangé dans le tiroir où personne ne peut accéder, ses codes bancaires, ceux qui lui permettent de télécharger sa facture de téléphone ou d’électricité depuis que, dématérialisation oblige, il ne la reçoit plus par courrier et qu’il veut tout de même imprimer sur la machine à photocopier. Sans oublier le code d’accès aux contrats d’assurance, aux documents pour la retraite, à l’abonnement du journal, aux réseaux sociaux, aux messageries, aux impôts, aux anglicismes constamment renouvelés qui permettent aux salariés ou aux chefs d’entreprise de rester connectés grâce à cette multitude de codes qui conditionnent désormais l’accès à leurs métiers.
Voilà, puisque nous en sommes là, il ne reste plus qu’a espérer que jamais la grande machine à calibrer l’humanité ne se mette à dérailler. Surtout si le code qui permet de la réparer a été égaré, dérobé, oublié.