Le temps des auto-écoles
Je vous parle d’un temps, comme dit la chanson, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En 1988, je fis l’acquisition, pour une bouchée de pain, d’une petite auto-école dans un quartier tranquille, entre le “Secours populaire” et une boutique exigüe qui, outre les quotidiens et autres journaux de mode, proposait au chaland une multitude d’articles plus ou moins utiles ou décoratifs. 25 mètres carrés en tout et pour tout. Une partie “accueil”, l’autre partie “salle de code”. Que de beaux souvenirs !
À cette époque, les comptables de l’État ne nous avaient pas encore pondu l’obligation des 20 heures de conduite minimum, ce qui permettait à bon nombre de fils ou filles d’agriculteurs d’obtenir le permis de conduire relativement facilement et pour un coût qui restait raisonnable. Parce que, bien sûr, depuis le jour où les pieds arrivent aux pédales, on conduit le tracteur, et même avec la remorque, alors pensez, 20 heures de conduite ! On apprenait d’abord le code de la route, de manière assidue de 18 à 19 h tous les jours de la semaine, il s’agissait de vrais cours, dispensés par la monitrice. En ce temps-là, pas de séries tests à la chaîne devant un écran impersonnel auquel on ne peut poser aucune question. Quel plaisir j’ai eu à prodiguer ces cours dans une ambiance bonne-enfant mais studieuse !
Une anecdote parmi d’autres : j’avais comme voisin de quartier un jeune homme de vingt-cinq ans, chef d’une petite bande de “voyous”. Oh, pas de ces pickpockets ou dangereux dealers irrespectueux et sans âme, non, plutôt des débrouillards qui vendaient à bon prix ou troquaient divers objets “tombés du camion”. Je savais que ce sympathique voisin conduisait depuis plusieurs années sans permis et que, pour cette raison, il avait déjà gouté au “ballon”. Après plusieurs tentatives étalées sur quelques mois, ma force de persuasion a eu raison de son entêtement. Inscription et code gratuits, 5 leçons de conduite pour se défaire des mauvaises habitudes et voilà ! Bon, évidemment, ce genre de gracieuseté ne pouvait être que rare… J’en ai vu des candidats heureux à l’obtention du papier rose, mais alors celui-là !
Les professionnels ne sont plus consultés…
Après cette réussite j’ai pu laisser mon petit bureau ouvert pendant que j’étais en leçon de conduite. Ainsi, les élèves venaient déposer un dossier ou un document manquant, emprunter une cassette, laisser un mot sur la table… Jamais rien ne m’a été volé. J’avais un ange gardien.
Et puis, petit à petit, est arrivé “le progrès”. Les fameuses 20 heures minimum obligatoires garantissant à l’État les 20 % de TVA, surface minimum des locaux avec accueil indépendant, isolation phonique de la salle de code. Les éditeurs de supports pédagogiques (livres de code, séries tests, etc.) ont commencé à proposer le lecteur DVD qui permettait de “faire” un cours de code sans moniteur, trop souvent remplacé par un matraquage de séries tests dont les élèves finalement connaissent les réponses par cœur. Plus de communication, plus d’échanges.
Une à une, chaque structure a été obligée de suivre, impuissante devant cette évolution qui semblait être la panacée. Les loyers multipliés par 2, 3, 4 ou plus, l’investissement pour le matériel, l’obligation d’employer une secrétaire, car il allait de soi que le bureau devait être en mesure d’accueillir les élèves à toute heure, ont abouti à la fermeture des petites auto-écoles. Aujourd’hui les candidats changent de moniteur ou de monitrice à chaque leçon, ce qui rallonge la formation de manière incontestable. La raison principale est qu’un formateur connaissant son élève sait tout de suite adapter sa pédagogie au caractère, à la sensibilité, aux aptitudes, aux difficultés de son apprenti. Il sait à quel niveau s’est terminée la leçon précédente et reprend donc la suivante sans tâtonnements.
En résumé, dans ce domaine comme dans tous, les décisions sont prises par des incompétents, sans que soient jamais consultés les professionnels. Cherchez l’erreur…