Le rideau sur le mot “Fin” (Par Jean-Marc Majeau)

C’est toujours avec un peu de nostalgie que l’on referme un livre, surtout lorsque l’histoire fut belle et que l’on eut souhaité qu’elle dura toujours. Mais les jours passent, les mentalités changent et les hommes évoluent. Certains, parfois, se lassent et les chemins divergent… On s’aperçoit alors que, finalement, le moment est venu. Rien ne me prédisposait à écrire dans un journal. Encore moins dans l’Agri, un hebdomadaire agricole. Le hasard des rencontres en a décidé autrement, puisqu’il me fit partager le chemin d’un personnage particulier. Un de ces hommes rares que l’on aime ou que l’on déteste, que l’on espère ou que l’on redoute. Un être entier… Je le connaissais surtout pour avoir, jadis, lu son nom inscrit sur les arches des ponts du département, réclamant sa libération. Je l’ai ensuite rencontré dans d’autres circonstances. On dit que les montagnes seules ne se croisent jamais. Nous avons alors décidé de faire un brin de causette… Et quelques encablures côte à côte. Il m’a ouvert les colonnes de “son” journal avec une seule consigne : “Écris ce que tu veux ! L’Agri, étant « Le journal qui le dit », tu as carte blanche !”

Cette liberté, qu’il m’aura offerte, aura duré pendant 9 ans, ma première chronique ayant été écrite au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo. Ce furent 9 années où l’actualité s’est bousculée, où les changements politiques et sociétaux furent considérables, où la liberté d’expression a été saccagée. J’ai profité de cet espace inespéré pour pouvoir exprimer, par la plume, toute mon incompréhension et toutes mes colères face à l’enchaînement diabolique des événements. Mes écrits n’auront rien apporté à personne mais auront été l’exutoire à tous mes malaises. Sans eux, ma vie aurait été plus difficile à supporter. Dans le sillage de cet irréductible, j’ai trouvé cette forme de quiétude : celle de quelqu’un qui n’accepte pas mais qui peut le dire !

Ainsi, à l’heure ou le rideau tombe, je voudrais m’adresser à lui, devant vous. “Jean-Paul, tu vas abandonner ton poste pour faire valoir un droit à la retraite mérité. Pourtant, ce prochain départ ne sera pas celui, volontaire, d’un libre penseur en quête de justice et d’équilibre, arrivant au terme d’une mission. Il sera, en fait, la conséquence inéluctable, du désir de certains de ceux qui t’entourent de ne plus laisser s’exprimer autre chose que la « pensée commune du moment ». Celle qui les arrangeait à l’instant T, mais qui les dérange maintenant. Aujourd’hui, tel Brodeck dans le rapport éponyme de Philippe Claudel, tu es devenu un « femdër » qui menace la conscience et l’existence collective des « Rex flammae » gravitant en meute autour de toi après t’avoir longtemps suivi. Ceux qui ont admis que la seule morale qui prévaut, c’est de vivre maintenant en faisant abstraction du passé. Des troupeaux dont les nouveaux bergers sont chargés d’éloigner les dangers, afin que les bêtes ne voient que ce qui est sous leurs pattes ou juste devant leur nez. Or, le danger le plus terrible est celui de la mémoire, Jean-Paul. Tu es cette mémoire. À ce titre, tu dois être mis de côté. Et ceux qui pourraient te donner le moindre soutien doivent partir avec toi.

Me concernant, arrêter en même temps que toi sera un honneur ! Les jours et les semaines à venir, sans ce combat à mener au quotidien, perdront sûrement un peu de leur saveur et de leur sens. Puissent-ils nous permettre de savourer une forme de quiétude. Je n’étais pas d’accord avec Georges Brassens quand il écrivait qu’il ne fallait pas mourir pour des idées. Il avait pourtant raison. Tu as fait ce que te disait ta conscience. Ton travail est terminé. Le mien avec. Tu as une épouse, des enfants et quelques amis infaillibles qui vont te permettre d’envisager un nouvel avenir. Tu es maintenant dans une terre où ton patronyme n’a jamais été gravé sur du béton. Tu peux donc construire un futur sur de nouvelles fondations, dans un relatif anonymat. Il sera d’autant plus beau qu’il portera ton regard vers demain. Il faut apprendre, quand on vieillit, à moins regarder en arrière. Comme, avec l’âge, on est de moins en moins souple et que l’on devient incapable de tourner la tête, ça tombe finalement très bien ! En tous cas, dans ce nouveau chemin, tu peux compter sur moi, avec une guitare, un stylo ou une bonne bouteille, lorsque tu auras besoin de quelqu’un avec qui regarder l’horizon, sans avoir comme objectif de le faire changer. Merci Monsieur Pelras et à tout à l’heure”.

Quant à vous, amis lecteurs, ce fût pour moi un véritable plaisir que de partager avec vous, durant ces 9 années, le bonheur de l’écriture. J’ai vraiment beaucoup aimé cela. Soyez prudents. Mais ne baissez quand même pas trop la tête. C’est le défaut des bêtes que l’on abat ! Per molts anys

Jean-Marc Majeau

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