L’édito de Jean-Paul Pelras : “La tentation des beaux jours”

Depuis quelques jours la phase d’endormissement semble ne plus produire l’effet escompté. Les journaux télévisés du 13 h et du 20 h ne suffisent plus à anesthésier ce bon peuple de France qui, pour se forger une opinion, ne se contente plus des chiffres annoncés, du quotidien des Français qui s’ennuient et de l’intervention du professeur Salomon. Nous sommes nombreux à nous poser des questions sur ces tests qui auraient pu être commandés aux labos privés, sur la dissimulation de la pénurie de masques qui conduisit certains membres du gouvernement à minorer ce problème, voire à suggérer, avant de faire volte-face, des consignes sanitaires condescendantes pour l’ensemble du corps médical. Nous sommes également des millions à nous interroger sur ces transports sanitaires qui s’effectuent par train d’un hôpital à un autre sur l’ensemble du territoire, voire à l’étranger alors que, fin mars, plus de 4 000 lits en réanimation et soins critiques avaient été libérés dans les cliniques privées.
Tous ces non-dits, tous ces atermoiements, distillent chaque jour un peu plus ce discrédit dont le gouvernement a bien du mal à se dépêtrer.
Nous avons affaire ici à une défiance endémique bien française qui ne supporte ni l’autorité, surtout si elle est dévoyée, ni la contention, surtout si elle est imposée. Sans trop savoir où nous en sommes (et c’est bien le problème) nous essayons néanmoins, en composant avec les mouvements brusques du destin, de deviner où nous allons. Une interrogation que nous nous posons avec prudence, comme pour ne pas déranger, comme si le bruit de la question pouvait accroitre la contagion.
Parce que oui, nous en sommes là, à écouter ce que l’on veut bien nous dire, à attendre la prochaine mesure qui pourrait reporter sine die, à l’été, à l’automne peut-être, à l’hiver qui sait, le voyage chez les grands parents, les vacances sur l’Ile de Ré, l’opération de la hanche, la rentrée des classes, la reprise du travail, la réouverture de l’entreprise, le mariage du fils ainé…

En ces temps si compliqués où il ne faut surtout pas douter
Et c’est là que les choses se compliquent car, de surcroît, les beaux jours arrivent avec leurs lots de tentations, la chaleur qui rendra le confinement encore plus insupportable, cette sève insurrectionnelle qui monte des clameurs de mai, ce grand chambardement qui invite aux tempêtes libidinales et aux batifolages champêtres, entre la moissonneuse batteuse et le verger de pommiers.
“Pour Pâques, personne ne sera autorisé à partir en vacances” : l’ordre est tombé, comme vont dégringoler les prunes distribuées par les gardes du cardinal de service à qui osera le braver. Alors, faute de mieux, les Français s’occuperont sur les terrasses familiales à dissiper l’ennui dans la fumée des saucisses dominicales, à se souvenir du friselis des vagues, de l’ambiance des bistrots, à se repasser ces bons moments qui ne circulent plus désormais que sur les albums photos.
Et malheur à celui qui osera toucher à la hache, qui osera tenir des propos pouvant être qualifiés de subversifs en ces temps si compliqués où il ne faut surtout pas douter. En ces temps si tourmentés où plane l’embargo des pensées. En ces temps où un préfet se permet de sermonner ceux qui sont hospitalisés. En ces temps bien étranges où l’on ne tardera pas à nous dire à quelle heure nous pourrons nous lever et quand nous devrons aller nous coucher. Oui, il sera difficile, humainement, de tenir le coup, car tout être normalement constitué est rétif aux privations de liberté. Oui, il sera très compliqué de survivre économiquement, car beaucoup d’entreprises manquent déjà de lisibilité.
Voilà pourquoi les scénarios qui se profilent concernant le déconfinement doivent être rapidement évoqués. Les Français, lassés par deux mois de “bricolage” et par ce qu’il faut bien considérer comme étant un manque d’anticipation, veulent désormais en savoir davantage. Pour s’organiser, pour prévoir, pour ne pas être pris au dépourvu comme le furent les restaurateurs quatre heures avant la fermeture de leurs établissements, pour accepter ce qui ne doit surtout pas être dissimulé par ce que l’histoire officielle, entre deux sabliers, retiendra de la vérité.

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