Incendies : évolution du risque [par Yann Kerveno]
De quelle manière le changement climatique va-t-il s’imposer à nous ? Comment va-t-il modifier le paysage ? Des chercheurs ont modélisé l’impact des feux de forêts sur l’arc méditerranéen. Et vous savez quoi ? On perd dans toutes les parties.
L’année 2022 est une référence, les 300 mm de pluie enregistrés à Perpignan en douze mois, et encore heureusement qu’il y a eu mars, sont dignes des niveaux des régions semi-arides, en gros comme le quart Sud-Est de l’Espagne. Avec de forts tonnages de matière sèche combustible au sol, les fortes chaleurs, elle avait aussi tout pour être une année d’incendies. Et elle le fut. C’est pour cette raison que l’étude conduite depuis Avignon par une poignée de chercheurs tombe à pic. Avec des outils de modélisation, ils sont parvenus à quantifier l’impact du changement climatique sur les incendies sur le pourtour méditerranéen selon les différents scénarios du GIEC.
Et alors ? “Nos résultats sont cohérents avec ce que nous pouvions imaginer. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’avec les modélisations nous avons été capables de quantifier plusieurs paramètres, les occurrences probables des incendies en fonction de leur taille, les surfaces détruites et les évolutions spatiales… Et nos conclusions sont, en effet, sans appel” précise Julien Ruffault, postdoctorant Inrae à Avignon, qui a pris part à l’élaboration de l’étude publiée il y a quelques semaines dans le International Journal of Wildland Fire. Il poursuit : “Nous allons vers une double extension, des zones à risques d’abord, mais aussi de la période critique. Aujourd’hui, on peut ainsi dire que la période de risque, dans nos zones, s’étend de fin juin à mi-septembre, avec un cœur de risque entre le 16 juillet et le 24 août. Dans le pire scénario du GIEC, à + 4° à la fin du siècle, nous parvenons à une extension de plus d’un mois et demi de la période sensible, grosso modo de fin mai à fin octobre… C’est problématique parce que nous savons par d’autres études que l’allongement de la saison a un impact important sur la capacité des pompiers à intervenir.”
Plus de feux et plus d’ampleur
Ainsi, le nombre de jours de risque extrême pourrait atteindre 33 dans le scénario à + 4° alors qu’il est jusqu’ici égal à… zéro. Et resterait égal à zéro dans tous les autres scénarios sans que cela empêche la progression du nombre de jours à risque très importants qui passeraient donc également de zéro pour la période 2011-2020 à 11 pour la courbe à + 1,5° et atteindrait 45 sur la courbe à + 3° avant de céder du terrain au profit de situations plus dangereuses. Pour faire simple, le nombre de jours à risque (modéré à extrême) passerait de 80 pour la période 2001-2020 à 138 dans la trajectoire à + 4°.
Dans une même logique, les surfaces du territoire exposées à un risque modéré à extrême passeraient d’environ 30 % en 2001-2002 à 63 % selon les calculs des chercheurs. Mais qui dit période plus longue, dit surface exposée plus importante, dit aussi augmentation potentielle du risque et quand ils font tourner les modèles sur les différents scénarios, il y a là aussi de quoi prendre peur. “Avec le scénario du pire, à + 4° donc à la fin du siècle, nos résultats montrent que le nombre de feux de 1 hectare et plus, quand la stratégie d’attaque échoue, pourrait progresser de 80 %, quand le nombre de feux dépassant 100 hectares pourrait, lui, progresser de 240 %.” Avec au final, naturellement, une augmentation très sensible des superficies brûlées en moyenne sur l’arc méditerranéen, jusqu’à 200 % à la fin du siècle.
Un décalage vers l’Ouest
Au-delà des nombres, il faudra aussi compter avec une évolution de la localisation de ces incendies et pour nos départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales les évolutions sont sensibles dès 2° (scénario que l’on n’est plus tout à fait sûr de respecter – ndla). Dans ce scénario “optimiste”, les zones sujettes aux incendies représenteraient 45 % du territoire en moyenne sur l’arc méditerranéen en enregistrant une progression de 58 % et les zones très exposées 16 % du territoire avec une progression de 98 %. À + 4°, la superficie des zones sujettes atteint 67 % du territoire (+ 140 %) et les zones très exposées 35 % (+ 330 %).
Dans le scénario à plus deux degrés, la surface concernée ne change pas vraiment dans l’Aude, les incendies restent cantonnés à leur “terroir” actuel, l’Est du département, mais c’est le niveau de risque qui progresse fortement. Dans les Pyrénées-Orientales, l’évolution envisagée est beaucoup plus sensible avec l’entrée en zone exposée de la totalité du Fenouillède et du bas Conflent, massif du Canigou compris. Dans le scénario à 4°, c’est la quasi-totalité du département de l’Aude qui serait concernée, jusqu’au Limouxin.
Marges de manœuvre
Dans les Pyrénées-Orientales, la répartition spatiale bougerait peu, mais le niveau de risque passerait presque partout à “élevé”. Avec une “poche” où le risque passerait à extrême : les Aspres. Pour autant, nos contrées risquent-elles un jour de ressembler à la Californie ? Non, estime le chercheur. “Parce que le pays et l’occupation de l’espace y sont différents. Mais nous pourrons être confrontés à des feux catastrophiques. Un feu de 10 000 hectares dans notre région peut avoir des conséquences matérielles et humaines dramatiques. Cela dit, par une autre étude menée dans notre labo, que les efforts de lutte contre les incendies ont été moins importants dans l’Ouest, les Pyrénées-Orientales, l’Aude, ces vingt dernières années que dans les Bouches-du-Rhône ou le Var par exemple où le nombre d’incendies a reculé sensiblement. Peut-être parce que les enjeux, dans ces deux département, avec une urbanisation plus prononcée, étaient plus importants ? C’est un point positif, parce que cela montre qu’il reste des marges de manœuvre dans les départements de l’Ouest de la région pour renforcer la lutte contre les incendies.”