Flotte chalutière : chronique d’une mort annoncée ? [par Thierry Masdéu]

“Nous sommes tristes de vous annoncer que nous arrêtons l’activité de pêche définitivement. Nous vous remercions de votre soutien et gentillesse”. C’est par ces quelques mots, publiés en février dernier sur leur compte Facebook, que le couple María-José et Gabriel Diaz, patrons pêcheurs du dernier chalutier de Port-Vendres, ont cessé leur activité en vue d’une retraite bien méritée.

Dernier rescapé de la flotte chalutière des P.-O., leur bateau, le “María-José Gabriel” a, par manque de repreneurs, quitté définitivement ses amarres pour être démantelé. Un chalutier trentenaire qui s’inscrit sur la liste de la quinzaine de bateaux en Méditerranée battant pavillon français voués, pour 2023, à une destruction via la prime de déchirage. Un plan de sortie de flotte, dont 13 en Occitanie, qui témoigne du malaise qu’endure, crise après crise, la pêcherie professionnelle française des côtes méditerranéennes.

Chalutier au déchirage / port de Sète

Pandémie, augmentation du coût des équipements, hausses des prix du gasoil, difficultés aux recrutements d’équipages, suppression du nombre de jours annuels de pêche, appauvrissement de la ressource halieutique, etc. Une série de facteurs aggravants qui ont mis en péril toute une filière. “Des 200 chalutiers que nous comptabilisions il y a une vingtaine d’années, aux 57 qui étaient encore en activité en 2022, on va se retrouver, à la fin de cette année, avec une flotte de 42 bateaux !” témoigne avec amertume Bernard Pérez, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins d’Occitanie (CRPMEM). Et le responsable de s’interroger sur la réelle volonté de l’État de préserver sa souveraineté alimentaire. “C’est énorme et dorénavant, on ne peut plus se permettre de nouvelles déperditions ! Aussi, nous œuvrons à la mise en place d’un contrat de filière qui nous permettra de travailler sur des perspectives à long terme en orientant les pêcheries. Car on s’en aperçoit bien et c’est une évidence, l’activité chalutière est la plus structurante des métiers de la pêche, d’autant qu’elle génère 3 à 4 postes à terre par marin pêcheur !”

Flotte de chalutiers au Grau du Roi
Flotte de chalutiers au Grau du Roi

Éolien, pipe-line, ZMP… La pêche sacrifiée dans un “mouchoir de poche”

Une restructuration de la profession indispensable pour maintenir à flots les quatre criées restantes de la région de Port-la-Nouvelle, d’Agde, de Sète et du Grau-du-Roi. Mise à part une réglementation européenne restrictive avec son nouveau plan de pêche sur les zones marines protégées (ZMP), décriée par la profession comme “inadaptée à la spécificité de la pêche en Méditerranée”, l’ensemble de la flotte chalutière et palangrière doit aussi faire face aux deux projets de parcs éoliens flottants. Des installations qui impliquent de nouvelles zones de restriction pour les marins pêcheurs. “On a toujours été contre ces projets d’éoliennes offshore, mais l’État a fait un passage en force sans tenir compte de notre avis !” dénonce avec fermeté ce représentant des pêcheurs, qui occupe également la fonction de président de la Commission Méditerranée au comité national des pêches. “Normalement, dans ce qui avait été convenu, il fallait attendre un retour d’expérience sur trois ans avec des éoliennes pilotes, qui ne sont pas encore construites… Et, résultat des courses, on écope de la validation commerciale de deux parcs éoliens de 250 MW chacun !” Un morcelage sur des zones de pêches qui s’ajoute aux autres secteurs déjà prohibés.

Des contraintes de spatialisation qui finiront par concentrer toutes les pratiques de pêches en un seul et unique endroit, avec le risque de générer des tensions. Un avertissement que clament avec force ces professionnels de la mer. “Le plateau continental représente 15 000 kilomètres carrés. Sur huit mois de l’année, on nous ferme entre 7 000 à 8 000 kilomètres carrés, ce qui représente plus de la moitié !” tient à rappeler Bernard Pérez. “Si demain ils mettent en place leur nouveau plan de pêche sur les zones marines protégées, écoutez bien… Sur les 100 % de l’espace qui nous était dédié pour la pêche, il ne nous en restera plus que 25 %, ce qui veut dire que l’on va concentrer toutes les pêcheries sur 25 % du plateau continental ! C’est la mort programmée de la pêche !”

Un mouchoir de poche qui pourrait encore se réduire avec la mise en place d’un pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille pour transporter de l’hydrogène. Ce projet, baptisé H2Med et qui devrait être parachevé d’ici 2030, fait suite aux accords d’interconnexions européennes officialisés lors du sommet Euromed du 9 décembre dernier entre le Portugal, l’Espagne, la France et l’Union européenne.

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