Fitou : vignes et cactées, une perspective d’avenir ! [par Thierry Masdéu]

Inexorablement le changement climatique oriente les modes de cultures et les types de plantations. Suivant les secteurs agricoles, ce qui semblait être une boutade a commencé depuis moins d’une décennie à dépasser la phase d’études théoriques vers une mise en pratique.

Et si d’ici 5 ans le quart du vignoble des Corbières-Maritimes se présentait non pas sous un aspect de friches, mais plutôt en plantations de cactus, comestibles, pour la cosmétique, pour l’industrie pharmaceutique, ainsi qu’avec une large gamme de plantes aromatiques ? De l’agriculture fiction diriez-vous ? Pas si sûr, si l’on prend en compte les critères des données économiques et des évènements climatologiques de la zone. En tous cas, c’est bien l’alternative souhaitée et envisageable comme complément de production, qu’expérimente avec enthousiasme, Laurent Maynadier, viticulteur au domaine “Le Champ des Sœurs” à Fitou. En ligne de mire, le spectre du manque d’eau, ressource précieuse qui est devenue son élément moteur. “Lors des 6 derniers mois, les données pluviométriques sur Fitou ne dépassent pas les 120 millimètres de pluie, alors que le seuil acceptable pour la vigne est de 350 millimètres par an, le vignoble souffre !” nous dit ce chef d’entreprise, héritier d’une lignée de treize générations de vignerons. “Cette réalité récurrente que subit plus rapidement notre zone de Fitou va s’étendre à d’autres, alors autant profiter de ce temps d’avance pour expérimenter des nouvelles cultures, observer et divulguer !”

En collaboration avec la Chambre d’agriculture de l’Aude et l’Agence de l’eau, des essais menés depuis 2 ans avec des plantes aromatiques, des figuiers de barbarie et des aloe vera, sont plutôt prometteurs. Dotée d’un dispositif d’arrosage goutte à goutte, cette phase de tests réalisée sur une parcelle de vigne de 3 hectares, arrachée pour l’occasion, devrait atteindre les 10 hectares d’ici 3 ans. Si les plantations de thym, romarin, origan, sauge ou sarriette sont assez communes, celles d’aloe vera de variétés barbadensis, maculata ou arborescens sont une première pour le territoire.

Découpe d’une palme d’aloe vera barbadensis pour en extraire le gel. Photo Thierry Masdéu.

Aloe vera : 10 000 pieds à l’hectare

Aujourd’hui ce viticulteur, parti en éclaireur, fou pour certains, visionnaire pour d’autres, souhaite aller plus vite, plus loin et partager le fruit de ses essais. Comme ceux qu’il expérimente aussi devant le caveau du domaine, où 350 pieds d’aloe vera ont été plantés en utilisant le principe de la permaculture, avec des couches en lasagnes. “L’idée est d’emmener en réserve une source d’humidité et la première couche du bas, réalisée avec des copeaux de bois de 5 ans d’âge, assurent la fixation de l’eau. Comme pour les copeaux, j’utilise pour la partie azotée une autre ressource de résidus : le marc de raisin”, révèle Laurent avec pédagogie. “Et enfin, en surface, une couche de terre de vigne bien calibrée, pour éviter les gros cailloux, vient, sur dix centimètres, finaliser la plantation”.
Des conseils de mise en culture pour ces variétés d’aloe vera dont la théorie préconise 10 000 pieds à l’hectare avec cassures pour le passage mécanisé. Une quantité que ce passionné de cactées compte pouvoir dépasser d’ici deux ans avec un prévisionnel de 17 500 pieds. Un marché prometteur d’autant que des laboratoires pharmaceutiques ou de cosmétiques sont à l’écoute, comme “Les Laboratoires Roig” de Perpignan, spécialisés dans la formulation et création de produits pour les peaux matures, jeunes ou fragilisées par les traitements contre le cancer. En 2011 ils ont introduit dans leurs formules le jus d’aloe vera, dont la consommation représente une moyenne de 2 tonnes l’an.

Une opportunité locale pour la filière “cosmétiques”

Une opportunité d’approvisionnement en local qui ne laisse pas indifférents les dirigeants de cette entreprise à la notoriété internationale, pionnière depuis 1972 dans l’utilisation de produits naturels issus de l’agriculture biologique. “Sans hésitation, nous avons adhéré à cette phase de tests. C’est un avantage car actuellement nous devons importer cette matière première d’autres pays, comme le Mexique, d’où elle arrive desséchée sous forme de poudre et que nous devons ensuite réhydrater” souligne avec intérêt, Fabrice Lejeune, directeur commercial des Laboratoires Roig, venu récupérer sur le domaine des échantillons de gel de palmes de l’aloe vera barbadensis pour analyses.
“Si les teneurs chimiques correspondent aux propriétés de nos cahiers des charges de fabrication, c’est inespéré ! Avec du produit frais, on minimise notre empreinte carbone et on favorise le circuit court, une pleine adéquation avec nos valeurs !” Qu’il soit cosmétique, alimentaire ou médicinal, le ciblage des marchés est à portée et de belles perspectives économiques se profilent à l’horizon.

Bien que les outils et infrastructures concernant les phases de traitements en extraction et valorisation des produits ne soient pas encore bien définis, le projet de cette agriculture moins gourmande en eau commence à fédérer un collectif de vignerons. Les caves particulières ou coopératives emboiteront-elles le pas en déployant de nouveaux outils et espaces pour s’adapter à ces nouvelles productions ? Pour Laurent Maynadier c’est une évidence, car d’ici 5 ans les exploitants seront plus nombreux et la filière sera en place. À suivre…

Contacts : Le Champ des Sœurs :
06 03 68 26 94 – https://www.champdessoeurs.fr/
Laboratoires Roig / 04 68 85 11 12 – https://www.laboratoires-roig.com/

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