Et tu seras ministre mon fils ! [par Jean-Marc Majeau]

Pourtant, j’ai écouté celui qui me disait qu’il fallait être honnête. Et qu’il fallait par-dessus tout pouvoir se regarder en face tous les matins, en croisant sa psyché. J’ai, dans ses traces, inculqué ses préceptes à chacun des enfants. M’apprêtant à le faire pour mes petits-enfants, j’ai brusquement compris que mon grand-père s’était trompé. Et avec lui, Rudyard Kipling, qui pourrait, aujourd’hui, écrire une version nouvelle de ses alexandrins. “Les antiennes d’hier sont jetées aux orties ! Le nouveau paradigme a calculé son prix : celui que nos ministres ont désormais admis ! Ils sont d’un autre monde, bien éloigné du nôtre, où l’on peut déraper, mentir ou harceler, mais où faute commise est souvent amnistiée. Où on lèche des fesses pour obtenir l’obole, le blanc-seing de son chef pour “œuvre nationale”. Il n’est pas un service, pas un seul cabinet, où ne soit hébergé un “mis en examen”. Même au plus haut niveau, ils se bousculent en nombre. Darmanin, Dupond, Buzyn et Lecornu. Aujourd’hui, c’est Dussopt, demain, peut-être Borne…

Pourtant, me direz-vous, une justice existe. Surement celle qui, dans sa clémence aveugle, laisse pourrir les preuves et enterre les plaintes. Hier, c’était Chirac qui n’avait pas fait pschitt, quand demain ce sera à nouveau Sarkozy. Mais sans la moindre angoisse, comme pour Balkany, tout le monde a compris que, sans être blanchi, pour aller en prison, il faut faire bien pis. Peut-être tuer un homme ou alors le violer. Mais il faudra trouver, au sein même du groupe, des témoins courageux qui oseront parler, qui n’ignoreront pas que leur lutte est futile, tant les grands de ce monde savent se resserrer. Quand l’un d’entre eux trébuche, ils vont le relever et tant pis si certains y voient une injustice, le pouvoir a un prix qu’il faut savoir payer.

Emmanuel Pellerin prend de la cocaïne, pour, dit-il, atténuer son stress du député. Peut-on donc le blâmer ? Il œuvre pour la France ! Comme avant lui Bigorne qui droguait ses convives, ce qui lui a valu un an avec sursis. Il est pourtant écrit, dans le code pénal, qu’il est toujours proscrit d’user de cocaïne, qu’on soit simple manant ou commis de l’État, un tel comportement méritant la vindicte. Mais pas pour ceux d’en haut, pas pour ceux qui nous toisent, payés par nos deniers, qui nous donnent des ordres, amputant nos finances, rognant sur nos retraites, pendant qu’ils s’attribuent des pensions de pachas. Il faudrait, voyez-vous, que l’injustice cesse. Que chacun soit traité sans discrimination. Mais pour vivre cela, il faudrait un sursaut, une lame de fond qui supprime à jamais ce désir de puissance, de faste et puis de gloire, qui comme une tumeur s’est partout propagée.

Si tu peux oublier ce qui était ta quête…

Un cri venant du peuple, peut-on encore y croire ? Rudyard Kipling est mort emportant ses chimères. Aujourd’hui, ce qu’il faut apprendre à nos enfants, c’est de bien écouter tout en baissant la tête, absorber les nouvelles sans trop les commenter, croire qu’un Dieu existe et aimer rendre gorge, sans envier ailleurs ce qui se fait chez nous. Mais toujours respecter la doxa en vigueur : savoir plaindre l’Ukraine et détester les Russes, aimer Netanyahu et les Américains, supporter les footeux sauf s’ils sont algériens. Aduler ces chanteurs qui nous parlent d’éthique, la main collée au cœur, ne voulant pas chanter dans la ville où le maire est du mauvais côté. Comment réprimander les groupes Indochine, Louise Attaque ou les autres qui s’y sont engagés ? Les voir au Barcarès me fait pourtant sourire, quand on connaît le nom du premier officier. Il faudra sûrement qu’un jour on leur explique, de celui qu’ils adoubent, quel est le pédigrée. Pour moi, tous ces discours sont de la propagande qui vise à les montrer comme on voudrait qu’ils soient : résistants, convaincus que leur voix sert de guide à ceux qui, tous les soirs, les écoutent chanter. Mais ceci ne sera qu’une lettre à la poste, balayée par le vent qui loin l’emportera, comme tous ces scandales qui ne durent qu’un temps, et que l’on oubliera dès le prochain printemps.

Je vais donc me résoudre à dire à mes enfants que le combat est vain et qu’ils n’auront, demain, plus qu’une seule voie pour tracer leur chemin : celle du lèche cul, du flagorneur zélé, celle qui donne droit aux fastes de la gloire, aux soldes mirifiques et peut-être, au final, à l’insigne notoire : cette rosette rouge sur le revers du col. Si tu peux oublier ce qui était ta quête, si auprès des puissants tu sais rester servile, si tu perds ton honneur au profit de ta gloire, si face aux caméras tu sais te pavaner, si tes anciens amis tu parviens à renier, si, enfin, tu oublies que l’on peut dire non… Alors tu seras intouchable mon fils”.

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