Chronique : Retourner l’assiette (Par Jean-Paul Pelras)

Le soir tombe, la lumière jaune éclaire la toile cirée. Le train de neuf heures ne devrait plus tarder. Au dehors, on entend déjà chuchoter tous ceux qui s’arrangent entre eux dans la nuit. Si tout va bien, à l’aube, la Coquette aura fait son veau. Si tout va bien, il ne pleuvra plus et ils pourront enfin ramasser le foin dans le grand pré du bas. A la télévision on parle d’une guerre qui ne les concerne pas et, dans la seconde qui suit, on montre un artiste qui gagne des millions. Il va falloir penser à remplir les papiers pour la laiterie. Elle débarrasse le plat à gratin. Il passe sa main entre le front et le béret. Sur l’aire de son pouce il découpe un morceau de pain. Et puis, il  se sert une portion de bleu et il retourne l’assiette. Comme son père et son grand-père la retournaient avant lui, juste après s’être accordé un dernier verre de rouge, en faisant claquer la langue avant de refermer le couteau. Oui, il a retourné l’assiette où il découpe à présent ce fruit un peu trop mur qu’il a ramassé en remontant de la grange. Ensuite, ils boivent le dernier café qu’ils remuent à même le verre avec le manche de la fourchette. Le sucre se trouve toujours dans la même boite en fer blanc. Celle qu’une vieille tante leur rapporta de Montauban l’année où l’aîné est parti faire l’armée. Enfin, ils rangent la serviette dans le tiroir de la table, juste à coté de la pierre à aiguiser. Le chien n’aboie plus sous le préau. A l’étable, ce soir, la Coquette a peut être fait son veau.

                                                                                                   

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