Ces cliniques où l’on peut encore parler girolles, morilles et mousserons… [par Jean-Paul Pelras]

Septembre 2012 : atteint d’une pancréatite, je suis opéré en urgence et in-extremis à la clinique de Prades, sous-préfecture des Pyrénées-Orientales connue pour avoir abrité quelques célébrités dont le violoncelliste Pablo Casals et l’actuel Premier ministre Jean Castex. C’est aux docteurs Henri Anceau et Jean-Marc Majeau que je dois, à n’en point douter, le fait de pouvoir encore écrire ces quelques lignes aujourd’hui.
Depuis, tous les 2 ans, je me rends dans cet établissement pour y effectuer une visite de contrôle. Jeudi dernier, j’avais, à ce titre, rendez-vous avec l’anesthésiste afin de préparer le prochain examen. Ce jour-là, j’ai commencé par rencontrer, sur le parking de la clinique, une connaissance agricole avec qui nous avons échangé sur l’épisode gélif ayant impacté les vergers de pêches et de nectarines ; à l’accueil, mon épouse à retrouvé une camarade de classe, un peu plus loin, j’ai pu plaisanter avec le brancardier, puis avec une patiente fidèle lectrice de l’Agri et une cousine infirmière, avant d’échanger, in finé, sur les coins à morilles et autres girolles, cèpes ou mousserons, avec l’anesthésiste qui trouvait le gisement plutôt clairsemé cette année.
Évidemment, il y avait le contexte Covid et cette grand-mère, désolée de ne pouvoir rendre visite à son mari, la distanciation, les gestes barrières et toute leurs kyrielles de précautions. Mais il y avait, surtout et malgré tout, cette notion de proximité préservée. Celle qui rassure ceux qui se sentent perdus face à l’isolement et à la maladie. Cette connaissance, ce mot, ce sourire auquel on peut encore se raccrocher dans les dernières nuances d’une vie, dans l’incertitude du destin, dans ce qui fait la relation d’un homme ou d’une femme à son pays.
Profondément attaché à notre ruralité, je sais, depuis ce mois de septembre 2012, ce que peut représenter, pour ceux des campagnes une clinique dans un territoire isolé. Elle est la condition sine qua non au maintien des populations. Quand une personne de plus de soixante ans veut s’installer et investir dans le haut pays, elle demande, avant toute chose, où se situe le premier médecin et où l’on se fait soigner ici.

Une discrimination aux kilomètres inacceptable

Voilà pourquoi de telles structures doivent être, quoi qu’il en coûte, maintenues. Car leur disparition sera inévitablement synonyme de déprise rurale. Elles doivent être maintenues sans concession. Autrement dit, sans qu’il y soit pratiquée une médecine au rabais, dépourvue de moyens susceptibles de garantir et de sécuriser la prise en charge des patients. Certains médecins, ne pouvant désormais obtenir ces garanties, avec du matériel fiable et suffisamment de praticiens qualifiés pour accompagner leurs interventions, préfèrent jeter l’éponge et partent exercer en ville où le risque est considérablement atténué.
Allons-nous assister à une désertification des cliniques rurales ou a une prise en charge médicale de seconde zone par manque de moyens, par manque de volonté politique, par cupidité également, parce que seule prévaut la notion de rentabilité ? Certainement !
À moins que le législateur, s’il est vraiment préoccupé par le maintien et le développement des territoires ruraux, s’empare sans délai de cette question. Une question qui passe par le rééquilibrage des soutiens aux établissements médicaux et par l’obligation faite à leurs gestionnaires de ne pas déconsidérer les populations rurales, tout en maintenant et en actualisant les moyens nécessaires à leurs prises en charge in situ. Il en va de l’égalité des individus sur le territoire. Cette discrimination aux kilomètres est inacceptable. Et ce qui l’est encore plus est de voir que certaines structures, en place depuis des années, sont menacées car on ne leur donne plus les moyens suffisants pour soigner.
Soigner : un enjeu plus que jamais d’actualité qui prend, au-delà des maux, toute sa dimension quand le patient trouve encore un peu de réconfort avec ce docteur qui connaît lui aussi les coins à champignons…

Une réflexion sur “Ces cliniques où l’on peut encore parler girolles, morilles et mousserons… [par Jean-Paul Pelras]

  • 5 juin 2021 à 9 h 31 min
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    Entierement d’accord avec cette analyse…..déplorable d’en arriver là ! et ou cela va t il s’arreter ?

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