Alain Deloire : “On a besoin de très peu d’eau pour débloquer la physiologie de la plante” [par Yann Kerveno]

Professeur à Supagro à Montpellier et spécialiste de l’irrigation de la vigne, Alain Deloire, qui travaille notamment avec le Domaine Lafage, précise que l’irrigation de la vigne n’a pas vocation à augmenter les rendements.

Faudrait-il généraliser l’irrigation pour continuer à produire du vin sur la façade méditerranéenne ?
Une grande partie de nos terroirs sont secs ou le deviennent et si vous n’avez pas de réserve d’eau dans le sol alors, oui, l’irrigation est une obligation. Parce que contrairement à ce qu’on entend souvent, les racines de la vigne ne “vont” pas chercher l’eau. Elles sont assez fainéantes, en fait elles se développent où il y a de l’eau. Pour m’expliquer plus simplement, imaginez un sol avec une couche qui dispose d’eau, posée sur une couche imperméable elle-même posée sur une autre couche qui contient de l’eau. Dans cette configuration le système racinaire n’ira pas chercher la seconde couche, il se développera en surface, la vigne n’est pas une plante qui explore dans le sol. Beaucoup de vignes ne descendent pas au-delà de 40 ou 50 centimètres.

Pourtant l’irrigation n’a pas forcément bonne presse aujourd’hui, elle est souvent assimilée à l’agriculture intensive…
Quand on apporte de l’eau, on va chercher à créer une zone humide sous la vigne autour du système racinaire. Avec le goutte-à-goutte, elle va former ce qu’on appelle un bulbe, une zone de confort hydrique qui va favoriser les radicelles, le chevelu racinaire et maintenir la plante fonctionnelle. Mais il ne faut pas non plus se faire d’illusion, l’irrigation permet d’assurer une partie du potentiel de récolte décidé à la taille par le vigneron, mais pas de l’augmenter. Elle permet aussi de faire baisser la température, il y a 10° entre la surface d’une feuille de vigne irriguée et celle d’une vigne en sec, ce qui permet de maintenir l’activité de photosynthèse. De plus, s’il y a de l’eau mais que la demande climatique est très forte (chaleur + faible humidité de l’air), alors il y est possible de voir des ceps se dessécher ! Mais on sait aujourd’hui qu’on a besoin de très peu d’eau pour débloquer la physiologie de la plante.

Cela se joue avec combien de millimètres ?
Nos expérimentations dans la vallée du Rhône en cette année très particulière et sèche montrent qu’en apportant trois fois 20 mm on peut sauver une vendange. Sur le papier, la vigne a besoin de 500 mm par an, cela comprend la réserve en eau du sol au débourrement, qui dépend des types de sol, de leur profondeur et des pluies d’hiver : c’est l’offre en eau. Ensuite, la consommation en eau dépend de la demande climatique (évapotranspiration) et de la surface foliaire transpirante par cep et par hectare. Il est possible à la vigne de tenir de nouaison à vendange avec 60 mm d’eau, si de débourrement à vendange le cep a eu l’eau nécessaire au bon déroulement de la floraison.

Quels sont les autres leviers qui permettraient de continuer à produire ?
Sur le long terme, la régénération des sols, la remontée du taux de matière organique qui accentuera l’effet éponge du sol. Ce ne sera jamais miraculeux et si on arrive à faire progresser la réserve utile du sol de 10 à 20 %, c’est déjà pas mal. On peut aussi travailler avec des produits de type Biochar, qui sont des charbons de bois enfouis dans le sol qui stockent l’eau apportée. Il faudra aussi réfléchir au système de conduite de la vigne et au type de taille et éviter les tailles mutilantes. Il faut privilégier les petits systèmes de conduite de type Gobelet ou palmette, adapter les rendements à une surface foliaire réduite, bien choisir son porte-greffe, réduire la densité de plantation, réfléchir à comment augmenter la réserve en eau des sols par les pluies d’hiver (couverts végétaux, adapter certains principes de la permaculture…).

Changer pour des cépages plus résistants ? Ou au moins plus tolérants ?
Il existe déjà des combinaisons qui fonctionnent très bien, Grenache x 110 Richter par exemple. C’est une combinaison qui m’a permis d’observer des vignes stressées mais dont les raisins sont parvenus à mûrir correctement à 30 hectolitres/hectare dans les Pyrénées-Orientales, sans irrigation. Cette combinaison est très performante couplée avec une petite surface foliaire, des petits rendements et un état sanitaire normal. Pour le reste, il ne faut pas se faire d’illusion quant aux cépages résistants. Il n’existe pas, dans le genre vitis vinifera, de cépages résistants aux hautes températures ou au stress hydrique. Des études sont menées pour comprendre le fonctionnement des vignes sous contraintes thermiques et hydriques, mais en termes d’amélioration variétale, il va falloir être très patient… Il n’y aura rien avant 15 à 30 ans.

La vigne est capable de s’adapter à des situations de contrainte hydrique mais elle va ajuster sa surface foliaire et le vigneron devra ajuster les rendements à la taille. Pour faire simple, moins il y aura d’eau disponible durant le cycle, plus la production de jus par hectare sera faible. La question est : où se situe le curseur versus la rentabilité de l’exploitation et la qualité des vins ?

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