Elles [par Jacqueline Amiel Donat]

Pas de iel ni de iels “Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre” selon Le Petit Robert qui crée la polémique. J’ai d’ailleurs toujours préféré le Littré et le Larousse et il me semble que ce débat sur la langue française occulte, voire stigmatise ce qu’Elles ont à dire. Et puis pourquoi parler d’eux puisqu’il s’agit d’elles ? Même s’il est vrai qu’il faut aussi parler d’eux, dans leurs relations avec elles.

Samedi, “Elles” sont donc descendues dans la rue partout en France, à l’appel du Collectif #NousToutes, pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles dont elles sont victimes/dont elles font l’objet, pour crier justement qu’elles ne veulent plus être victimes et qu’elles ne sont pas des objets. Les chiffres sont là, accablants et incontestables bien que minorés : depuis le début de cette année, 101 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint en France. Ce sont des féminicides, terme qui vient de faire son entrée dans le Larousse en 2021 mais qui n’existe toujours pas en tant qu’infraction spécifique dans notre Code pénal français. Il s’agit de féminicides “intimes” comme les a qualifiés l’O.M.S. en 2012 parce que commis dans la sphère familiale par le conjoint ou l’ex-conjoint.
Plus généralement, dans son dernier rapport publié en janvier 2020 par l’ONDRP (l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales), 212 400 femmes (de 18 ans à 76 ans) sont victimes en moyenne chaque année en France, de violences physiques et/ou sexuelles au sein de leur couple, dont moins de 15 % seulement déposent plainte et moins de 20 % sont allées consulter aux urgences.

Beaucoup de jeunes femmes ce samedi, des adolescentes et même des plus jeunes, peut-être parce qu’elles ont trop vu les femmes de leur famille renoncer à se rebeller et se terrer dans un silence honteux. Peut-être parce qu’enfants, elles ont subi aussi cette violence intrafamiliale : 405 000 victimes en moyenne par an en France selon le même rapport ONDRP. Peut-être parce qu’elles ont compris que c’est un phénomène collectif qu’il faut combattre et qu’il n’est plus suffisant de s’insurger contre des situations individuelles.

Nécessité d’en finir avec la culture de “la virilité”

Dans son ouvrage “Why do they kill ? Men who murder their intimate partners” (2007) David Adams, psychologue américain responsable de plusieurs programmes de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes aux États Unis, ouvrait la voie à une recherche sur les auteurs de ces violences : de quoi cette violence est-elle l’expression pour son auteur, tant au niveau individuel que collectif et social ? Répudiant, ou simplement marginalisant la théorie “romantique” du crime passionnel, source de bienveillance devant les tribunaux français, les chercheurs ont alors mis en exergue les rapports de domination, d’appropriation et d’emprise fondés sur l’isolement de la femme, sa soumission à un continuum de violences
progressivement plus graves et le renvoi à sa culpabilité de “mauvaise épouse”.
Historien, chercheur au Collège de France, Ivan Jablonka écrit : “le meurtre conjugal, le féminicide et le gendercide reposent sur l’idée que les femmes sont trop libres ou insuffisamment lucratives : le masculin y remédie par le crime, comme si elles mouraient de leur propre faute. (…) Le meurtre signe l’échec sanglant du patriarcat qui, d’ordinaire, oblige le féminin à se plier à la « fonction femme ». C’est la raison pour laquelle la violence misogyne a été si longtemps tolérée, voire justifiée” (“Des hommes justes” 2019).

C’est donc ce modèle patriarcal qui doit être remis en cause, cette éducation et même ces injonctions faites aux garçons, dès leur plus jeune âge, de se conformer aux normes dites traditionnelles de la masculinité afin de correspondre au modèle de la “virilité conquérante” (Christine Guionnet, maître de conférences de Sciences politiques, Revue Masculin-Féminin 2014). Ainsi que le précise Lucile Peytavin, historienne (“Le coût de la virilité” 2021), cette virilité reposant sur des valeurs de force, qui servent à dominer et écraser, n’est pas innée, la science l’a largement démontré. C’est une éducation, une construction culturelle contre laquelle, ce samedi, “Elles” se sont insurgées en battant le pavé, loin des discussions académiques sur la langue française.

“À Joanna, compositrice de talent, dont le cœur s’est arrêté dans ce petit salon de musique.
Ta joie de vivre va me manquer.
À Joséphine, dont la mémoire entre au Panthéon. Magnifique et ultime pied de nez à toutes les discriminations que vous avez subies.”

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