Un dromadaire dans un cinéma ! [par Jean-Paul Pelras]

Nous sommes au début des années quatre-vingt-dix. L’Espagne s’apprête à adhérer « officiellement » au « Marché commun », le Maghreb frappe régulièrement à la porte pour s’inviter au débat géopolitique et avancer ses pions sur les marchés européens. Dans le Midi de la France, les agriculteurs, maraîchers et arboriculteurs principalement, savent qu’ils ont mangé leur pain blanc et que, pour emprunter à la formule consacrée, plus rien ne sera jamais comme avant.
Alors, tout est bon pour le répéter à ceux qui, de passage dans les Pyrénées-Orientales, ont encore quelques parcelles d’autorité. Parmi eux, le président de l’ante Languedoc-Roussillon, Jacques Blanc, venu présenter le Contrat de plan État-Région dans la plus grande salle du cinéma perpignanais, Le Castillet. Lequel, ce jour-là, sommités locales et circonvolutions protocolaires obligent, affichait complet. Comme souvent à l’époque, le Centre départemental des Jeunes Agriculteurs était à l’initiative d’actions tout aussi imprévisibles qu’originales et parfois musclées.

Un camion stationne boulevard Wilson devant le cinéma, les Jeunes Agriculteurs, avec à leur tête Michel Corominas, ouvrent le hayon et font descendre deux dromadaires. Philippe Maydat, secrétaire général du syndicat, pour l’occurrence déguisé en émir, conduit « la caravane » accompagné de quelques « berbères » de circonstance, Hervé, Claude, Christian… Venus du Roussillon, des Aspres, des Albères. Les chameliers, tels des rois mages transportant leurs offrandes, entendent livrer, ce jour-là, quelques plateaux de tomates, importées du Maroc, à Jacques Blanc pour dénoncer un énième accord de coopération avec le royaume chérifien qui, hélas, ne sera pas le dernier.
Non sans difficultés, Philippe Maydat parviendra à guider une des deux bestioles jusqu’au pied de l’estrade, bravant la pénombre, la moquette, la surprise d’une assistance médusée et les marches d’un escalier qui n’avait, bien sûr, rien à voir avec le sable et la lumière pulvérulente du désert d’Agafay ou celui du Ténéré. Mais c’était sans compter sur l’obstination de celui qui deviendra plus tard représentant de la Coordination Rurale dans les P.-O.

La démarche, tout aussi inédite que rocambolesque, visant à dénoncer la coopération entre la région Languedoc Roussillon et l’agriculture marocaine, le responsable syndical défile alors solennellement avec l’animal devant les édiles politiques, syndicaux et consulaires alignés au premier rang. Et il en profite pour remercier, tout aussi ostensiblement, le président de la Région au nom de ces contrées bénéficiant (déjà) du jeu des compétitions déloyales, du moins-disant social et des importations. Une action qui capta le prisme des médias et demeure gravée dans la mémoire collective agricole des P.-O. comme étant annonciatrice d’une déprise annoncée. Cautionnée par ceux qui, depuis plus de 30 ans, ont un peu « oublié » de défendre les paysans roussillonnais.

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